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productions. Les flatteries, les ignorances, les indifférences de la critique et du public contribuent sans doute pour beaucoup à cette pauvreté des résultats définitifs, malgré un si grand et si constant effort. Toutefois, le système actuel des expositions entre aussi pour une bonne part dans le développement de cette anarchie inféconde et meurtrière. Grâce à la promiscuité scandaleuse du Palais de l’Industrie, qui admet pêle-mêle l’excellent et le mauvais, le médiocre et le détestable, le public, de plus en plus dérouté, confond plus que jamais la force et la brutalité, la conscience et l’impudence, l’apparence et l’effet, et les peintres eux-mêmes se trompent pendant longtemps, d’aussi bonne foi qu’ils trompent les autres, sur leur propre valeur. Grâce à cette facilité insupportable des Salons annuels, les Écoles des beaux-arts, les Écoles de dessin, les Écoles industrielles voient s’enfuir avant l’heure, avec des études incomplètes, les meilleurs de leurs élèves, qui, de cette façon, manquent toujours de l’instruction la plus indispensable à leur art, s’ils ont une véritable vocation, ou qui se condamnent à une vie misérable, en dérobant au pays des forces nécessaires, s’ils étaient seulement aptes aux travaux décoratifs ou industriels. Ce n’est pas le lieu de traiter ici cette dernière question, qui est des plus graves ; il suffit de l’indiquer. Nous en restons donc plus que jamais convaincus, la réduction progressive des œuvres admises au Salon annuel est la première mesure à prendre pour relever le niveau de la production dans la section de peinture. Ce régime serait aussi profitable aux artistes qu’agréable au public, car il permettrait d’apprécier plus justement les œuvres et forcerait insensiblement les exposans à se montrer plus difficiles pour eux-mêmes. C’est une mesure d’utilité publique que le bon sens réclame et qui s’imposera un jour. La société des artistes français, qui tient désormais en main les destinées du Salon annuel, se ferait grand honneur en accomplissant spontanément ce devoir civique.


GEORGE LAFENESTRE.