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plutôt une infraction à l’esprit qu’à la lettre de la charte. Raffermi de ce côté, le ministère fit rejeter, de haute lutte, la proposition Barthélémy par la chambre des députés, qui ne demandait pas mieux. La discussion fut foudroyante pour le côté droit ; M. de Serre, hardi, éloquent, passionné ; M. de Sainte-Aulaire y dénonça le massacre des protestans dans le département du Gard, avec un autre succès que M. d’Argenson n’avait fait en 1815.

Le haut du pavé étant ainsi regagné, il fallait signaler son passage aux affaires et consacrer sa victoire par quelques succès d’éclat. Le plus pressé, c’était la législation de la presse ; plus d’étrangers sur le territoire, plus de prétexte pour tergiverser et remettre au lendemain ; nous avions démoli, en 1818, tous les projets du ministère défunt ; le temps était venu de réaliser nos principes et d’acquitter nos promesses.

M. de Serre était officiellement garde des sceaux et, de fait, le représentant au ministère du parti doctrinaire. C’était à lui, en cette double qualité, de payer de sa personne ; il nous prit, M. Guizot et moi, pour associés, ou, si l’on veut, pour metteurs en œuvre, et définitivement, après quelques pourparlers, le travail que j’avais préparé prévalut dans ses données essentielles. Comme il fait encore aujourd’hui, après maintes vicissitudes, le fond de notre législation actuelle, j’en suis responsable en tout ce qui m’appartient, et ce qui m’appartient, le voici :

J’avais divisé l’ensemble de la législation sur la presse en trois parties distinctes : 1° la définition des crimes et des délits ; 2° la procédure ; 3° les garanties à exiger de la presse périodique. Cette division, adoptée par le gouvernement, ne pouvait rencontrer alors et n’a rencontré depuis, dans les chambres, aucune difficulté. De là trois projets de loi, trois projets simultanément présentés, mais distincts ; j’insistai sur ce point, et je l’obtins, ayant toujours été très ennemi de tout principe de codification. Mes raisons, je les ai consignées dans une note très étendue qu’on trouvera dans mes papiers.

Les trois projets reposaient sur une base commune, à savoir qu’il n’y avait lieu d’admettre aucune distinction entre les divers instrumens de publicité, imprimerie, lithographie, dessin, gravure, voire même la parole publiquement proférée ; mais que le fait de publication devait être réel, volontaire et régulièrement constaté.

J’avais divisé le premier projet de loi en quatre sections : la provocation aux crimes ou délits ; l’outrage à la morale publique ; l’offense envers les autorités constituées ; la diffamation et l’injure contre les personnes privées. J’eus d’abord maille à partir avec mes collaborateurs, qui prétendaient réduire ces quatre chefs à la provocation, en attribuant à ce motif un sens étendu et élastique ;