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de la liberté. » Le vœu est exaucé : depuis quelques années, beaucoup de ces œuvres ont été recueillies. Après avoir envisagé sous divers aspects les nouveaux horizons et la carrière nouvelle qu’ouvrit au barreau contemporain la création du jury criminel, il y a quelque intérêt à voir les hommes à l’œuvre, c’est-à-dire à montrer comment les principaux maîtres, en face d’une institution excellente à beaucoup d’égards et nécessairement défectueuse par quelques côtés, ont compris leur tâche et dirigé les destinées de l’éloquence judiciaire dans notre pays.


III.

Le XIXe siècle a prodigué à Berryer les témoignages de son admiration. Lorsque le barreau de Paris célébra, le 26 décembre 1861, dans une fête sans précédent, le cinquantième anniversaire de son inscription au barreau, Me Jules Favre, bâtonnier de Paris, parla de son « génie oratoire » en termes magnifiques. Trois ans plus tard, au banquet de Londres, il fut salué par sir F. Kelly comme « le premier de tous les avocats contemporains » et l’attorney général but à la santé « de l’illustre citoyen, du patriote éminent, du grand orateur, de l’avocat sans rivaux. » Il meurt; et M. de Sacy le transforme en « un prophète que l’esprit de Dieu agite et soulève au-dessus de lui-même; » M. Jules Grévy le proclame « prince du barreau français ; » M. de Falloux le compare au Cid ; M. de Sèze adjure tous les barreaux de « rester l’œil fixé sur ce phare lumineux. » Il ajoute qu’on peut appliquer à Berryer ce texte de l’écriture : Defunctus adhuc loquitur.

Berryer mérite assurément tous ces éloges, sauf le dernier. Même en lui adressant de suprêmes adieux, à cette heure où « l’équitable avenir » n’a pas encore commencé, M. Grévy se demandait si la postérité ne serait pas tentée de réviser le jugement des contemporains en relisant ce qui resterait de ce grand homme et si elle sentirait « sous ces paroles éteintes le feu qui les embrasait. » En effet, c’est lui surtout qu’il fallait entendre. Quelques années ont à peine passé sur cette tombe et déjà cette éloquence commence à se décolorer. Ceux qui relisent les œuvres oratoires du maître et que « l’inspiration du regard, la noblesse du geste, le pathétique de l’action, l’ampleur et la gravité de la voix » ne font plus « frissonner, » ne s’associent pas toujours aux élans de l’auditoire. Ils ne sentent plus leurs cœurs battre de la même manière ; ils s’étonnent de leur propre tiédeur et se plaignent de moins admirer. Le palais a, par exemple, gardé le souvenir du grand effet