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Ils refusaient de reconnaître aucune dette d’état contractée postérieurement à la guerre civile et arboraient hautement la doctrine de la répudiation pure et simple, dont celle de l’inflation n’était guère qu’une formule atténuée.

Ces progrès des démocrates au sud du Potomac et de l’Ohio et dans les états riverains du bas Mississipi, n’attiraient pas l’attention des républicains, endormis dans la sécurité qu’inspire une longue jouissance du pouvoir. Personne ne croyait possible une résurrection de l’ancienne et puissante organisation du parti démocratique. On tenait pour assuré que les républicains ne perdraient le pouvoir que le jour où surgirait, sur des principes et avec des hommes nouveaux, une organisation politique n’ayant plus rien de commun avec les partis tels qu’ils étaient constitués avant la guerre civile, et ce jour paraissait encore bien éloigné.

Le coup de foudre des élections d’automne en 1874 pour le quarante-quatrième congrès tira brutalement les républicains de cette quiétude. Les démocrates enlevaient quatre-vingt-dix sièges à leurs adversaires et obtenaient une majorité écrasante dans la chambre des représentans, 180 contre 112, tandis que le congrès qui allait prendre fin en mars 1875 comptait 198 républicains et seulement 93 démocrates. Dans le sénat, la majorité républicaine tombait de 25 à 9. Les démocrates avaient fait passer leurs candidats dans tous les états du Sud, sauf dans le South-Carolina. Ce qui pouvait paraître plus surprenant, c’est qu’ils l’emportaient en outre, non-seulement dans l’Illinois, l’Indiana et l’Ohio, mais encore dans les trois principaux états de l’Est, le Massachusetts, le New-York et la Pensylvanie. Ils furent aussi surpris de leur victoire que les républicains de leur défaite. Les politiciens, tout occupés de leurs combinaisons à courte vue, comptaient que le plus grand nombre des électeurs voteraient docilement pour le parti auquel les rattachaient les liens d’habitude, de tradition ou d’intérêt. Ils n’avaient pas vu se former dans les profondeurs du suffrage universel un nouveau mouvement d’opinion. Ce travail leur était resté inaperçu; on fut stupéfait de constater à quel point le ton du sentiment public s’était modifié.

On disserta longuement sur les causes de la grande révolution électorale qui venait de s’accomplir[1]. Une des plus décisives fut

  1. 1° La politique de reconstruction du parti républicain avec sa législation exceptionnelle, tracassière, anticonstitutionnelle, avait été impuissante à rétablir dans les états du Sud l’harmonie sociale et la prospérité matérielle; 2° le parti dominant s’était voué exclusivement aux intérêts de la classe manufacturière, dont la richesse était fondée sur le monopole et sur le système protectionniste, devenu la doctrine économique officielle; 3° les impôts, après la guerre, n’avaient subi que de faibles réductions, et les républicains, disait-on, dans le peuple, ne maintenaient cette taxation exagérée que pour se perpétuer dans la possession du pouvoir. Autour du président, on ne parlait que des avantages d’un gouvernement fort et de la nécessité d’une plus grande centralisation de l’autorité. Extension du patronage, progrès alarmans de la corruption administrative, telles avaient été les suites naturelles de ces aspirations au despotisme, de l’intrigue en faveur d’une troisième présidence de Grant, enfin de l’alliance étroite des chefs du parti républicain avec l’aristocratie financière, industrielle et commerçante des états de l’Est, d’où est sorti le fléau du lobbyism, trafic des faveurs officielles dans les couloirs du Capitule à Washington ; 4° l’opinion publique, à tort ou à raison, rendit le gouvernement responsable des effets désastreux de la crise financière et commerciale qui s’était déchaînée en 1873. Il en avait été de même en 1838 et en 1858. À ces deux époques, les démocrates occupaient le pouvoir. La crise de 1838 l’avait rendu aux whigs; celle de 1858 l’avait donné aux républicains récemment organisés.