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Ces conséquences prochaines du développement naturel des sources de la richesse aux États-Unis apparaissent tellement évidentes aux yeux des économistes de l’Union, de ceux bien entendu qui n’ont pas épousé aveuglément le parti-pris des banquiers et des classes commerçantes dans les états du Nord-Est, que plusieurs vont sans hésiter jusqu’à l’extrême et se demandent si le rappel de la loi Bland est une mesure si impérieusement commandée qu’on veut bien le dire par les circonstances. Après tout, disent quelques-uns de ces économistes qui naturellement sont bimétallistes, que pourrait-il advenir de si fâcheux d’un refus du congrès d’abroger la législation de 1878 ? Le trésor aurait à continuer son monnayage mensuel de 2 millions de dollars. Le public persisterait dans sa répugnance à garder les dollars d’argent en circulation, et les banques de New-York dans leur refus, peu légal peut-être, de recevoir ces dollars de leur clientèle. Le gouvernement fédéral verrait peu à peu son or s’écouler. Ne percevant plus ses taxes et ses droits de douane qu’en monnaies ou en certificats d’argent, il effectuerait lui-même bientôt, en ces mêmes monnaies ou certificats, tous ses propres paiemens, y compris celui de l’intérêt et du remboursement de la dette publique. Il se produirait sans doute au début quelque émoi ; une crise passagère s’abattrait sur la place de New-York; l’or disparaîtrait, caché ou exporté, et l’argent, par la force des choses, deviendrait l’instrument principal de circulation, sous la forme métallique, ou représenté par des certificats. On verrait par là se relever peu à peu sa valeur intrinsèque. L’influence bienfaisante de ce phénomène se ferait promptement sentir en Europe. Les populations bimétallistes s’éveilleraient de leur torpeur, encouragées à seconder plus activement que par le passé les efforts persévérans que ne manquerait pas de renouveler le gouvernement de Washington pour obtenir une entente universelle sur la fixation d’une relation légale entre les deux métaux précieux.


A. MOIREAU.