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de leur fidélité. Je ne parle ici que de ceux qui n’ont pas sur le sol national d’anciennes et profondes racines.

Ce qui semble plus juste et mieux vu dans le livre de M. Drumont, c’est ce qu’il y dit de l’influence de certaines idées juives, depuis tantôt une centaine d’années, sur l’orientation nouvelle, si je puis ainsi dire, de l’esprit moderne. Et, à ce propos, je suis étonné qu’il ne se soit pas autorisé du témoignage d’un écrivain juif, M. James Darmesteter, dans une brochure intitulée : Coup d’œil sur l’histoire du peuple juif. « Le judaïsme, disait M. Darmesteter, le judaïsme, qui, dès sa première heure, a toujours été en guerre avec la religion dominante, que ce fût celle de Baal, de Jupiter ou du Christ, est enfin arrivé en présence d’un état de pensée qu’il n’a pas à combattre, parce qu’il y reconnaît ses instincts et ses traditions. » On ne saurait mieux dire, avec plus de franchise, que tout ce qui se fait contre le christianisme se fait conséquemment au profit, pour la plus grande gloire du judaïsme, et que la coïncidence est entière entre un certain idéal moderne et l’idéal traditionnel et « charnel » des juifs. C’est aussi, je le répète, ce que M. Drumont a très bien vu, mais dont il n’a eu tort que de rendre les juifs eux-mêmes responsables, attendu qu’ils n’ont rien fait ni rien pu faire, quoi que M. Darmesteter en dise ailleurs, pour amener le triomphe de cet idéal moderne : ils n’ont eu qu’à nous laisser faire. Nous nous sommes chargés sans eux de découvrir et de formuler les lois brutales qui gouvernent nos sociétés contemporaines, de substituer au sentiment de la patrie le cosmopolitisme économique, de borner les ambitions humaines à la possession des seuls biens de ce monde ; et nos philosophes, pour tout cela, nos révolutionnaires et nos économistes, n’ont pas eu besoin de s’inspirer autrement du Talmud ou de la Bible même : ils l’ont trouvé tout seuls.

Je ne me donnerai pas ici le ridicule de déclamer contre l’argent, ni ne feindrai surtout de croire que l’appétit ne s’en soit éveillé que de notre temps. On aimait l’argent avant qu’il y eût des juifs, et si les juifs doivent disparaître un jour, l’argent ne cessera pas pour cela d’être aimé. L’amour de l’argent est dans le sang des enfans des hommes, et les chrétiens, par l’effet d’une pudeur héréditaire qu’on peut prévoir qu’ils perdront tôt ou tard, le dissimulent peut-être mieux, mais n’en sont pas moins possédés que les Juifs. Toutefois, ce que l’on doit dire, c’est que, dans les anciennes sociétés, et notamment dans la France de l’ancien régime, l’aristocratie de l’argent était contrepesée par l’aristocratie de la naissance, l’aristocratie de l’esprit et l’aristocratie du cœur. En ce temps-là, les fermiers-généraux n’allaient pas de pair avec un grand seigneur, Voltaire ou Rousseau même avait le pas sur un M. de La Popelinière, et dans le dévoûment ou dans le sacrifice, à défaut du principe ou du Dieu qui l’avait inspiré,