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des princes, le ministère refusait les armes qu’on lui offrait. Il avouait qu’il ne connaissait rien qui pût justifier un acte de sévérité, et il déclarait d’ailleurs qu’il se sentait suffisamment armé. Que s’est-il donc passé pour que, trois mois à peine après avoir fait ces déclarations, le gouvernement se hâte aujourd’hui de présenter une loi d’exil en s’engageant à l’exécuter, sans plus de retard, dès qu’elle sera votée ? Il y a eu sans doute quelque événement extraordinaire !

Oui, la conspiration est évidente ! M. le comte de Paris a tout récemment marié sa fille, la princesse Amélie d’Orléans, au prince héritier de la couronne de Portugal, au duc de Bragance, et avant de conduire sa fille à Lisbonne, il a fait ce que font assez souvent les pères de famille, même ceux qui ne sont pas des princes : il a reçu à cette occasion ses amis dans sa maison. M. le comte de Paris aurait, en vérité, manqué d’égards au souverain d’une nation amie s’il avait eu l’air d’amoindrir l’éclat d’une telle alliance, de donner un caractère presque clandestin à cette fête de mariage. Il a agi simplement, dignement, sans affectation, conciliant ce qu’il devait à son pays et ce qu’il devait aussi à la couronne portugaise que sa jeune fille est destinée à porter un jour. M. le comte de Paris a usé de son droit, du droit de tout le monde, en manant sa fille, en rassemblant pour un soir ses amis autour d’elle au moment où elle allait quitter la France. C’est la grande conspiration, toute la conspiration qui, à ce qu’il paraît, a mis la république en péril — et surtout les têtes républicaines à l’envers ! Les radicaux, ces gardiens vigilans de l’ordre légal et de la paix publique, ont été scandalisés de la fête de l’hôtel Galliera, du train spécial emportant une princesse royale ! Ils ont saisi aussitôt l’occasion de faire revivre les projets de proscription et d’expulsion. Les radicaux ont commandé ; quelques-uns des ministres, radicaux encore plus que ministres, M. Lockroy, M. Granet, ont suivi le mot d’ordre du parti dans les délibérations du gouvernement, et M. le président du conseil, avec sa vigueur bien connue, avec sa rare faculté d’évolution, n’a eu bientôt d’autre ressource que de choisir entre les manières de s’exécuter, de demander lui-même au mois de mai ce qu’il avait refusé d’accepter au mois de mars. M. le président de la république, il faut lui rendre cette justice, paraît avoir refusé de prendre un rôle actif dans cette répugnante comédie ; il aurait, dit-on, déclaré, avec une liberté d’esprit qui lui fait honneur, qu’il n’avait aucun goût pour un décret sommaire d’expulsion par raison d’état lorsqu’il ne voyait aucun danger, que si le ministère et la majorité étaient d’un autre avis, ils n’avaient qu’à faire une loi que M. le ministre de l’intérieur se chargerait d’exécuter, qu’il n’avait quant à lui, rien à signer. M. le président Grévy a tenu à dégager sa responsabilité, et voilà comment M. le président du conseil Freycinet, qui s’en serait bien passé, s’est trouvé conduit à engager directement la sienne en