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Hartington et même aux radicaux qui suivent M. Chamberlain. Il y a quelques jours, lord Salisbury n’a plus gardé ce silence, qui était peut-être une habileté. Il a prononcé à Saint-James-Hall un discours passionné, où aux projets et à la politique de M. Gladstone il a opposé les idées du pur torysme, une politique qui, sans aller jusqu’à ériger en système la répression à outrance et pour vingt ans à l’égard de l’Irlande comme on l’a dit, ne reste pas moins la politique traditionnelle de résistance. Un instant, M. Gladstone a pu croire que l’intervention bruyante de lord Salisbury le servirait, qu’elle aurait du moins l’avantage de rendre plus difficile la coalition de ses adversaires, libéraux dissidens et conservateurs, peut-être même de lui ramener lord Hartington et ses amis ; mais ce qu’a pu dire lord Salisbury ne change pas la position de lord Hartington, qui n’a pas lié partie avec les conservateurs, qui a levé le drapeau pour son propre compte, au nom du vieux libéralisme et de l’intégrité britannique. Lord Hartington est trop engagé par ses déclarations, par ses discours, par ses actes les plus récens pour pouvoir reculer : c’est lui qui a proposé le rejet du bill ministériel et qui reste le directeur de la campagne contre la politique irlandaise du cabinet. Évidemment M. Gladstone n’a que peu à espérer de ce côté. Tout ce qu’il peut se promettre, c’est de reconquérir les radicaux du groupe de M. Chamberlain, et c’est à cette œuvre de ralliement nécessaire qu’il met aujourd’hui toute son habileté.

Le grand et terrible vieillard qui a engagé une si dangereuse partie ne néglige certainement rien pour le succès de son entreprise. Il ne cesse de négocier en combattant. Il ne demande pas mieux que de désarmer par des concessions M. Chamberlain et ses amis, de chercher avec eux un moyen de concilier l’autonomie irlandaise et l’unité de l’empire, de maintenir une représentation de l’Irlande au parlement de Westminster dans certaines circonstances et dans certaines conditions. Toute sa tactique, pour le moment, paraît être de gagner du temps, de ne demander simplement aujourd’hui que le vote du principe de l’home-rule, et il n’a pas caché sa pensée dans une réunion du parti libéral qu’il a provoquée ces jours derniers, où il a déployé autant de diplomatie que d’éloquence. Réussira-t-il ? Si, avec le concours des radicaux habilement reconquis par lui, il réussit à obtenir le vote du principe de sa politique, le reste de l’œuvre sera ajourné à une session d’automne, et d’ici là on aura le temps de s’entendre, de remanier, d’amender, d’atténuer le bill primitivement proposé. Si l’opposition l’emporte au vote qui terminera la discussion de la seconde lecture, c’est, selon toute apparence, la dissolution du parlement, un appel au pays en dernier ressort, et il n’y a point à s’y méprendre, des élections préparées, décidées dans de telles conditions, sont un assez redoutable inconnu. M. Gladstone a placé l’Angleterre entre l’impossibilité