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tombée de la nuit que j’appris successivement ce qui s’était passé depuis l’apparition du Moniteur.

Je ne reproduirai point ici ce qu’on peut lire dans tous les récits publiés alors et depuis. On sait que le premier acte de résistance a pris naissance dans les ateliers de la presse, et force était bien : la première ordonnance, la première en ordre comme en importance, était un arrêt de mort pour tous les journaux, et cet arrêt leur avait été signifié, dès l’aube du jour, par une circulaire du préfet de police; ne pas protester, c’était abdiquer; de là la réunion presque immédiate des principaux organes de la publicité quotidienne dans les bureaux du National, le plus hardi de tous et le mieux placé pour répondre à tous venans; de là l’énergique protestation rédigée par M. Thiers et signée de quarante-sept noms presque tous devenus célèbres; de là la consultation arrêtée, dans le cabinet de M. Dupin, avocat en titre du Constitutionnel, entre les membres les plus accrédités du barreau de Paris, consultation qui n’aboutit néanmoins qu’à déclarer l’illégalité des ordonnances, sans rien engager sur la conduite à tenir, mais qui ne tarda pas à porter ses fruits; de là, en effet, et ce fut le premier coup de tocsin, cette double décision rendue presque simultanément par le tribunal civil, en référé, et par le tribunal de commerce, enjoignant aux imprimeurs du Courrier français et du Journal du commerce de passer outre à l’impression de ces deux feuilles nonobstant toute inhibition administrative.

Mais que faisaient, en même temps, les députés présens à Paris?

Ce que nous faisions nous-mêmes : ils se cherchaient l’un l’autre, dans cette immense cité. Une première rencontre avait eu lieu, celle-là tout à fait fortuite, chez M. Casimir Perier; ils n’étaient que sept, on n’y put rien arrêter, sinon d’en provoquer une seconde, laquelle eut lieu vers huit heures du soir chez M. de Laborde. Renvoi au lendemain, chez M. Perier, les présens n’étant pas treize.

Que faisait le roi ? Il chassait ; parti de Saint-Cloud à sept heures du matin, il n’y rentrait qu’à onze heures du soir.

M. de Polignac? Ministre de la guerre par intérim, il passait une adjudication.

Le duc de Raguse? Il attendait sa lettre de service et les ordres du roi, qui s’alla coucher sans les lui donner.

Cependant, si Paris était tranquille, ce n’était qu’en apparence. Le Moniteur étant affiché, des groupes se formaient au Palais-Royal et dans les rues adjacentes pour le lire et le commenter ; quelques orateurs en plein vent montaient sur des chaises pour en donner lecture à haute voix. Vers la fin de la matinée, les groupes allèrent grossissant d’heure en heure et les propos devinrent injurieux et menaçans. Les ouvriers, à la fin de leur journée, et sortant