Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/780

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était arrivé qu’à midi pour établir son quartier général au Carrousel, et ce ne fut que vers quatre heures qu’il eut sous la main quelques troupes assez mal pourvues de munitions de guerre, et plus mal de munitions de bouche.

Rien jusque-là n’annonçait, dans cette multitude, des dispositions agressives ; point d’armes, point de cri de guerre autre que : « Vive la charte! » Point de direction principale; si bien que, vers deux heures, les jeunes gens qui marchaient en tête du rassemblement le plus voisin des beaux quartiers et lui servaient, en quelque sorte, de chefs de file, ayant appris qu’une réunion de députés se tenait chez M. Casimir Perier, rue Neuve-du-Luxembourg, s’y présentèrent pour prendre langue et offrir leurs bons offices.

Cette réunion, c’était la même qui s’était ajournée, la veille au soir, chez M. de Laborde, et revenait à son premier gite. Elle comptait, à ce moment, une trentaine de membres, et comme elle n’avait aucun caractère officiel, comme elle était volontaire et purement civique, j’en faisais partie, sur l’expresse invitation de ceux de mes amis qui s’y trouvaient en qualité de députés.

Mais que faire? Quel parti prendre? Dans l’état des choses et des esprits, quel plan de conduite pouvait se tracer une minorité si minime? Là-dessus, autant d’avis que de têtes. Les uns étaient pour attendre encore et patienter, chaque jour, chaque heure amenant aux députés de nouvelles recrues. D’autres proposaient une adresse au roi, d’autres une protestation armée de la menace du refus d’impôt. En attendant, et tandis que chacun défendait son thème, les événemens allaient leur train; d’autres réunions se formaient; l’une, entre autres, tenait séance permanente au National, et nous envoyait pour fraterniser MM. Boulay (de la Meurthe) et Mérilhou ; l’attroupement formé à la porte insistait pour entrer et menaçait de la forcer ; bref, il arriva ce qui devait arriver ; le poste à pied et à cheval qui gardait à dix pas de là le ministère des affaires étrangères reçut l’ordre de dissiper l’émeute et s’en acquitta bel et bien ; le tapage de la rue, le galop des chevaux, les cris des fuyards rendant la délibération intenable, il fallut trancher le nœud gordien, on se décida pour la protestation; MM. Dupin, Guizot, Villemain, furent chargés, chacun pour son compte, d’en préparer le projet, et l’on s’ajourna pour le lendemain chez M. Audry de Puyiaveau (Maison de Roulage, rue du Faubourg-Poissonnière, n° 40).

Le choix n’était pas heureux ; c’était prendre pour porte-drapeau un nom bien révolutionnaire, un personnage dont le langage et les habitudes étaient bien violens et bien vulgaires; c’était prendre pour quartier général le centre même de toute agitation populaire en cas de troubles sérieux et persistans. M. Bérard a rendu compte de cette réunion sur un ton de matamore et dans un langage très