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assez avant dans la soirée que MM. D’Argout, de Sémonville et de Vitrolle parvinrent à s’y faire annoncer ; la présence de ce dernier causa quelque inquiétude pour sa sûreté dans un lieu ouvert au public, sans garde, sans gens de service, sans autre protection que l’enthousiasme populaire ; néanmoins il ne fut ni maltraité ni insulté, mais il agit sagement en laissant la parole aux deux autres ambassadeurs. Ce fut, je crois, M. D’Argout qui le premier entra en explication.

On a beaucoup dit que les déclarations ou propositions royales, n’importe le terme, avaient été accueillies par ces mots : Il est trop tard ! et cette exclamation a été attribuée tantôt à M. Mauguin, tantôt à M. de Schonen. C’est une erreur. L’accueil fut froid, réservé, silencieux, voilà tout. M. G. Perier demanda, au nom de la commission, quels étaient les qualités et pouvoirs des envoyés. Il lui fut répondu que leur mission était simplement d’annoncer l’arrivée presque immédiate de M. de Mortemart, muni des ordonnances signées du roi. M. G. Perier répliqua, de son côté, que la commission elle-même était sans pouvoirs pour les entendre et leur répondre, et qu’ils devaient s’adresser à la réunion des députés en séance chez M. Laffitte ; il leur délivra, à cet effet, un laissez-passer, où fut omis, par prudence, le nom de M. de Vitrolles.

En possession de ce laissez-passer, M. D’Argout se présenta seul chez M. Laffitte. M. de Sémonville, accablé par l’âge et la fatigue, regagna le Luxembourg. M. de Vitrolles, en s’arrêtant chez lui, pourvut à sa propre sûreté, non sans de fortes raisons.

M. D’Argout trouva dans le salon de M. Laffitte, non-seulement les députés présens à Paris, mais une société fort mêlée et fort nombreuse, la porte étant ouverte à qui se présentait. Il exposa le but et le caractère de sa missive, et il en fit ressortir l’importance avec beaucoup de ressource d’esprit et d’énergie. Naturellement dans une réunion si diverse, et si diversement agitée, il se rencontrait autant d’opinions que de groupes, que de parleurs disposés à se mettre en évidence, mais, en définitive, le sentiment qui prévalait, ce fut d’attendre et d’entendre M. de Mortemart, que son beau-frère, M. de Forbin-Janson, venait de quitter à Saint-Cloud.

Après une heure d’attente environ, M. D’Argout sortit, reprit en passant M. de Vitrolles, qui demeurait porte à porte, et retourna à Saint-Cloud.

J’assistais à cette pénible expectative, en simple témoin, sans caractère particulier, en témoin silencieux, comme l’a fort bien remarqué M. Bérard, et ce qui m’étonne, c’est qu’il s’en soit étonné ; je ne poursuivais point avec une ardeur passionnée la ruine de l’ordre établi ; je ne trouvais aucun plaisir à injurier des vaincus, fussent-ils