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son indignation portait à faux: j’avais sur le bout des lèvres d’ajouter qu’à voir où en étaient Paris et la France, ce qu’il en pourrait advenir aux princes et aux principes ne me préoccupait pas exclusivement, mais je me contins et je passai outre.

Arrivé à la hauteur de la rue Cerutti, j’y trouvai un encombrement sans pareil, une foule serrée, pressée, entassée, criant, hurlant, gesticulant à cœur-joie. Je demandai de quoi il s’agissait: on me dit que les députés étaient en train de délibérer, et comme on les soupçonnait d’attendre M. de Mortemart pour lui faire accueil, on se disposait, en revanche, à lui faire un mauvais parti : c’était un envoyé de Charles X ; c’était un juge du maréchal Ney. Ce dernier grief était mal choisi, M. de Mortemart n’ayant pas siégé au procès, mais les braillards n’y regardent pas de si près. Désespérant de traverser cette cohue et n’ayant pas, au fond, grand intérêt, je rentrai chez moi avec le dessein de me diriger de là vers le Luxembourg, où je pensais bien qu’il y aurait enfin quelque chose à voir et peut-être quelque chose à faire.

Véritablement les députés étaient réunis et délibéraient; ils étaient plus de quarante; mais ils avaient mordu comme le dehors au nom de M. le duc d’Orléans ; les plus modérés, les plus sensés allaient jusqu’à le faire roi sur-le-champ et par une sorte de coup fourré. Il faut rendre justice à M. Bérard, qui tenait le fauteuil; il leur fit honte de leur précipitation et de leur étourderie, il alla même plus loin ; après avoir dirigé la délibération avec adresse et mesure, de manière à réduire la proposition dans les limites de la lieutenance générale, il se refusa même à mettre aux voix cet amendement, engageant ses collègues à se réunir au Palais-Bourbon pour; y recevoir M. de Mortemart et aviser ce que de raison en commun avec tous les députés arrivés ou arrivant à Paris. La séance fut fixée à midi.

En rentrant chez lui, rue Neuve-des-Mathurins, si je ne me trompe, M. Bérard rencontra en face de sa porte MM. de Mortemart et d’Argout, M. de Vitrolles étant resté à Saint-Cloud. Nos deux pauvres missionnaires, assistés chacun d’un quasi-secrétaire, après avoir essayé vainement de pénétrer dans Paris par le bois de Boulogne, et s’être attardés un quart d’heure à Auteuil chez M. de Forbin-Janson, beau-frère de M. Mortemart et son précurseur, la veille, à la réunion Laffitte, nos deux missionnaires, dis-je, étaient parvenus au pont de Grenelle, par une brèche du mur d’octroi où M. de Mortemart faillit laisser une de ses jambes et se blessa assez grièvement. « Où allez-vous? leur demanda M. Bérard. — Chez M. Laffitte, répondit M. D’Argout; à la réunion des députés. — n’en faites rien, répliqua M. Bérard; d’abord vous n’y trouveriez personne, puis vous courriez risque de recevoir quelque mauvais coup. »