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M. Bérard les fit entrer dans son appartement, prit connaissance du message et des documens à l’appui, et c’est là que fut prononcé le mot fatal : « c’est trop tard! » il le fut avec les regrets et les ménagemens convenables; du reste, entrant, autant qu’il dépendait de lui, dans la position et dans les vues de M. de Mortemart, M. Bérard lui conseilla de se présenter de bonne heure au Palais-Bourbon et lui promit d’y réunir autant de députés que faire se pourrait.

M. de Mortemart et M. D’Argout se séparèrent dès lors, et le premier se dirigea avant tout vers le Luxembourg, où M. de Sémonville devait l’attendre avec le petit nombre de pairs qu’il aurait pu réunir de son côté.

C’est là que je le trouvai en arrivant moi-même; il était déjà, je ne dirai point en conseil, le mot serait trop ambitieux, mais en colloque avec une vingtaine d’entre nous, des meilleurs et des plus sensés. J’ignore s’ils avaient été convoqués ou s’ils étaient venus, comme moi, proprio motu.

J’appris en arrivant que, M. le duc de Mortemart ayant manifesté l’intention de se présenter lui-même, tant à la chambre des députés qu’à l’Hôtel de Ville, et d’y donner lecture des nouvelles ordonnances dont il était porteur, notre petite réunion, à l’unanimité, l’en avait détourné, cette démarche paraissant contraire à la dignité dont il était revêtu et aux règles de la plus simple prudence ; ces deux corps délibéraient, en effet, sinon en pleine rue, du moins en contact avec la rue et sous le feu même de l’insurrection. On trouvait plus sage et plus convenable que M. de Mortemart communiquât avec ces deux corps par message et qu’il s’installât au Luxembourg en y faisant acte de gouvernement.

Si M. de Mortemart avait été un puissant orateur comme Mirabeau ou un guerrier couvert de gloire comme le général Bonaparte au 18 brumaire (et encore le héros fit-il assez pauvre figure au conseil des cinq cents), peut-être l’autre parti aurait-il paru préférable; mais, simple galant homme, dépourvu de toute habitude de la parole, remplissant loyalement, mais à contre-cœur, une mission sans espoir, accablé par la fatigue, dévoré par la fièvre, estropié par sa chute du matin au point qu’il lui fallait deux personnes pour se tenir debout, sa présence aurait plus nui que servi à l’effet tel quel des nouvelles ordonnances. Le moyen qu’il pût discuter avec énergie et avec succès toutes les questions de vie et de mort pour la royauté légitime, toutes les thèses d’ordre social et d’ordre politique qui se trouvaient engagées dans la circonstance ; qu’il le pût, dis-je, à travers les cris, les violences et les menaces d’une multitude à laquelle nul n’avait ni le droit, ni le pouvoir de fermer la porte! On s’arrêta donc à l’idée de communiquer par un message, et notre collègue, M. Collin de Sussy, s’étant offert à déposer les ordonnances sur le bureau de