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La préparation de cet acte avait été commise à MM. Guizot, Benjamin Constant et Villemain. Rédigé séance tenante, adopté à l’unanimité, c’était au moment même où. les députés présens y apposaient leur signature qu’advint le message du lieutenant-général.

Parti pris sur-le-champ : prêter concours au nouveau chef du pouvoir exécutif, marcher avec lui droit à l’Hôtel de Ville pour l’y faire reconnaître, parut à tous le premier et le plus pressant des devoirs. M. Bérard prit les devans pour l’en informer, et bientôt après, M. Laffitte, à la tête de la réunion tout entière, donna lecture au prince de la déclaration qu’on lui soumettait. Il y souscrivit de grand cœur ; mais, tout ceci ayant entraîné quelque perte de temps, ce ne fut guère avant deux heures après midi que le cortège put se former et se mettre en marche.

J’assistai en simple curieux à sa formation dans la cour du Palais-Royal ; je le suivis le long des quais en simple badaud, donnant le bras à l’un de mes amis, badaud comme moi. L’appareil triomphal ne payait pas de mine. Un tambour éclopé battait aux champs sur une caisse à demi crevée. Les huissiers de la chambre, en surtout noir, les mieux vêtus de la bande, marchaient à la file. Le futur roi des Français, en uniforme d’officier général, à cheval, n’était suivi que d’un seul aide-de-camp, à cheval aussi ; puis venait le groupe des députés sans uniforme, en habit de voyage. En tête, M. Laffitte, boiteux de la veille, cheminant en chaise à porteurs; en queue, Benjamin Constant, boiteux de plus vieille date, aussi en chaise à porteurs, le tout noyé dans une foule qui grossissait au débouché de chaque rue, au dégagement de chaque ruelle, foule de toute nature, en tout équipage, quelques rares habits de garde nationale, quelques plus rares uniformes militaires, toutes les fenêtres pavoisées de drapeaux tricolores, tous les bonnets, tous les chapeaux, tous les shakos, toutes les boutonnières diaprées de cocardes et de rubans à l’avenant. Les quais étant, de dix pas en dix pas, enchevêtrés de barricades, force était d’y faire brèche où on pouvait, et, par ces brèches, le flot de la cohue se précipitait, chacun pour son compte, criant, bousculant son voisin, braillant la Marseillaise et tirant, çà et là, des coups de fusil en signe de réjouissance, au point d’inspirer plus d’une sorte d’inquiétude.

« Le trajet, dit M. Bérard, fut long et pénible, à cause de l’excessive chaleur. Le prince fraternisait un peu trop, à mon avis, avec une foule d’individus des dernières classes du peuple, recevait et donnait de trop fréquentes poignées de main. j’eus peine à repousser, pendant ce temps, l’inquiétude qui m’assiégeait. La foule était immense et presque partout armée. D’une fenêtre, d’une porte, un coup de fusil pourrait être si tôt tiré... Le cœur n’a cessé