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de me battre jusqu’à l’arrivée à l’Hôtel de Ville ; et, lorsque nous avons pénétré dans la grande salle, je me suis senti délivré d’une grande angoisse. »

Sans partager tout à fait cette angoisse, je n’en étais pas non plus tout à fait exempt. Je remarquais que l’entrain, la joie, l’enthousiasme, universels au départ, allaient diminuant durant le cours du trajet, et qu’en approchant de l’Hôtel de Ville les visages devenaient plus renfrognés et les cris plus équivoques. Pour pénétrer, en définitive, dans le quartier-général de la république en herbe, il fallut un vigoureux coup de collier. N’étant point du cortège et peu friand des aménités qu’il fallait, pour avancer, essuyer et rendre à profusion, je restai au beau milieu de la place de Grève, puis, la trouvant peu tenable, je m’en dégageai peu à peu et pris poste à l’extrémité de ce petit pont de fil de fer qu’on a nommé depuis, je ne sais trop pourquoi, le pont d’Arcole. Je ne vis rien, par conséquent, de ce qui se fit, je n’entendis rien de ce qui se dit à l’Hôtel de Ville, je ne puis rien affirmer ni rien démentir des récits, diversement exploités par l’esprit de parti, sur les incidens de cette entrevue, sur le langage des interlocuteurs et le sens qu’ils entendaient réciproquement attachera leurs paroles; mais ce qui est certain, c’est que M. de La Fayette, entouré des siens, à quelque classe, à quelque catégorie du peuple qu’ils appartinssent, vint au-devant de M. le duc d’Orléans, qu’ils s’embrassèrent cordialement, que M. de La Fayette plaça dans la main de M. le duc d’Orléans un drapeau tricolore et le conduisit à l’une des fenêtres, que M. le duc d’Orléans, en agitant ce drapeau, fut couvert d’applaudissemens par la foule qui se pressait sur la place et sur les quais, et que M. Viennet le fut également lorsqu’il donna lecture à haute voix de la déclaration des députés.

Or, cette déclaration était ainsi conçue :


« Français,

« La France est libre ; le pouvoir absolu levait son drapeau, l’héroïque population de Paris l’a abattu. Paris attaqué a fait triompher par les armes la cause sacrée qui venait de triompher en vain dans les élections. Un pouvoir usurpateur de nos droits, perturbateur de notre repos, menaçait à la fois la liberté et l’ordre ; nous rentrons en possession de l’ordre et de la liberté. Plus de crainte pour les droits acquis ; plus de barrière entre nous et les droits qui nous manquent encore.

« Un gouvernement qui, sans délai, nous garantisse ces biens est aujourd’hui le premier besoin de la patrie. Français, ceux de vos