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la commission municipale à résigner ses pouvoirs entre les mains du lieutenant-général.

Il était convenu que ce ministère provisoire s’occuperait exclusivement des affaires courantes, et que le lieutenant-général se réserverait les affaires d’état, ce qu’on pouvait nommer le fonds du jeu qui s’allait jouer. Il entendait les régler lui-même, assisté d’un conseil intime et purement officieux, lequel se composa de MM. Casimir Perier, Laffitte, Dupin, Sébastiani et de moi, indigne. M. Molé n’y fut admis que plus tard.

Or, voici la première tuile qui nous tomba sur la tête : ce fut la démission de M. Pastoret, chancelier, président de la chambre des pairs, chancelier de récente fabrique, il est vrai : à peine s’il avait eu le temps de prendre séance et d’endosser la simarre, mais enfin titulaire d’un poste qu’on ne pouvait, dans la circonstance, laisser vaquer vingt-quatre heures.

La perte n’était pas grande. M. Pastoret n’était et n’avait jamais été quelqu’un. Homme de science plutôt qu’un véritable érudit, il n’avait ni caractère personnel, ni autorité sur personne. En politique, il n’avait jamais joué qu’un rôle pitoyable. A l’assemblée législative, en 1792, il s’était tenu en équilibre sur la ligne intermédiaire qui séparait l’héroïsme de la droite (le mot n’est pas trop fort) des crimes de la gauche (le mot ne l’est pas non plus). Les gens de ce temps-là ont retenu sur lui un lardon de Ramond, que je me permets de rappeler sans me permettre, et pour cause, de le transcrire ici : totidem verbis. Nous étions donc plutôt contens, dans l’état présent et très critique des affaires, de voir la chambre des pairs échapper à ses mains tout ensemble débiles et suspectes ; mais le choix du successeur était difficile autant qu’il était urgent.

La chambre des pairs, en tant qu’instrumentum regni, devait être à l’œuvre ce jour même ; en tant que corps héréditaire, et dès lors privilégié, elle pouvait être en question le lendemain. Pour l’attaque comme pour la défense, elle avait besoin sur-le-champ d’un chef et, composée qu’elle était d’élémens de toute origine, d’élémens non-seulement divers, mais discordans, ancien régime, régime impérial, éméritat de tous les genres de fonctions, fourrée de hobereaux successivement importés par le ministère Villèle, doctrinaires clairsemés, mais remuans, elle avait besoin d’un chef qui eût le coup d’œil sûr, la main ferme et le caractère conciliant; d’un chef en qui chaque opinion pût prendre, à certain degré, confiance, que chaque opinion pût à la rigueur compter comme sien, en raison de ses antécédens, de ses sentimens, de ses principes, mais qui sût au besoin prendre parti, faire la part du feu et tenir compte des exigences du moment.