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prendre. Sans accepter à la lettre des rapports empreints d’exagération, on demeura d’accord que la prolongation du séjour de la famille royale à Rambouillet l’exposerait à de sérieux dangers. Le château, entouré par dix ou douze mille hommes de troupes et protégé par une nombreuse artillerie, était certainement à l’abri d’un coup de main tenté par des paysans; mais, sous l’influence d’excitations sans cesse renouvelées, un conflit pouvait, d’un moment à l’autre, s’engager entre le peuple et les troupes royales. Si le sang venait à couler encore, qui oserait en prévoir les conséquences ? Quel que fut, au début, l’avantage des forces en faveur des défenseurs du roi, ne seraient-ils pas bientôt accablés par des masses accumulées et furieuses? Et, sans aller jusqu’à de sinistres appréhensions, ne fallait-il pas avoir égard aux inquiétudes qu’entretenait dans la population de Paris le voisinage de l’armée royale? Comment obtenir que cette population désarmât et laissât démolir ses barricades tant qu’elle verrait, à quelques lieues de la capitale, des canons prêts à revenir la surprendre?

Par ces considérations, on résolut d’envoyer à Rambouillet des commissaires qui presseraient le roi de s’éloigner et qui l’accompagneraient pour lui servir de sauvegarde. Le lieutenant-général désigna pour cet office le maréchal duc de Trévise, et, à son défaut, le maréchal Maison, MM. de Schonen, Jacqueminot et Odilon Barrot. M. de Mortemart leur adjoignit M. le duc de Coigny, attaché à la maison militaire de M. le duc de Bordeaux, en lui remettant une dépêche contenant des renseignemens détaillés sur la situation et en le chargeant de rendre compte de tout ce qu’il avait fait et tenté, et des fatales circonstances qui avaient rendu ses efforts inutiles.

Les commissaires partirent du Palais-Royal. M. de Coigny avait gardé la cocarde blanche ; ses collègues portaient la cocarde tricolore. Ils se croisèrent en route avec M. le général de Latour-Foissac. De quoi celui-ci était-il porteur? c’est ce qu’il importe, avant tout, d’expliquer ici.

Après avoir reçu et congédié, sans lui répondre, M. de Berthois, le roi avait fait venir le duc de Raguse et lui avait demandé conseil. « A Saint-Cloud, lui répondit le maréchal, j’ai proposé à Votre Majesté la seule chose qui pût la sauver, quel que fût l’accueil que l’on ferait à Paris aux propositions portées par M. de Mortemart. Le roi serait maintenant sur la Loire et aurait conservé tous les moyens que nous avons vu perdre depuis trois jours. Aujourd’hui, tout a empiré, et la situation s’aggrave d’heure en heure. Le roi n’a plus, en effet, qu’une seule chance de maintenir la couronne dans sa maison, c’est de la poser lui-même sur la tête du duc de Bordeaux. Ce parti consacrerait à la fois le principe de la légitimité et