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dont on retrouve l’image dans ces gravures où sont retracées les scènes de la Fronde. »

À cette armée qui ne connaissait ni l’obéissance ni la discipline, on donna pour chef le général Pajol, homme d’une grande énergie ; on lui adjoignit comme chef d’état-major le général Jacqueminot; les élèves de l’École polytechnique furent placés à la tête des compagnies formées au hasard. Comme aucun militaire ne se faisait illusion sur le sort qui attendait cette multitude si elle se trouvait en rase campagne en présence des régimens de la garde royale, le général Pajol avait pour instructions en cas d’attaque de se jeter dans les bois et d’y disperser son monde.

Ces instructions furent rédigées en conseil ; je tenais la plume, la minute en existe tout entière de ma main dans les papiers remis au roi Louis-Philippe après la révolution de 1848. Quand je fus chargé, à cette époque, par M. Dufaure, ministre de l’intérieur sous l’administration du général Cavaignac, de présider une commission chargée elle-même d’opérer la séparation entre les papiers d’état et les papiers privés du roi, trouvés dans son cabinet, et livrés comme eux au pillage, dans le sac des Tuileries, la minute dont il s’agit tomba sous mes yeux, je n’en pouvais méconnaître ni la rédaction, ni l’existence. Je fus sur le point de la réserver pour la remettre moi-même au roi, en lui demandant la permission de la garder; mais, tout compte fait, je trouvai plus délicat de la laisser dans le paquet, sauf à prier ce bon prince de me la remettre de sa main. Je ne l’ai revu que quelques jours avant sa mort, et dans un moment où il avait à peine la libre disposition de lui-même.

Armé de ces instructions, le général Pajol donna le signal du départ. « Un immense hourrah s’éleva, auquel succédèrent des chants et des clameurs mêlés de coups de fusil, et la foule se déploya en colonne sur la route. Mais le peuple était dans ses jours de royauté ; il n’entendait pas parcourir à pied les quinze lieues qui séparent Paris de Rambouillet. On mit en réquisition toutes les voitures qu’on put trouver, omnibus, fiacres, cabriolets, diligences, tapissières, voitures bourgeoises, et tous ces véhicules aux formes variées qui desservaient les environs de Paris. Ces équipages, au nombre de sept ou huit cents, portant à l’intérieur, sur le siège, sur l’impériale, de véritables pyramides humaines, échangeant des lazzi, des quolibets, des éclats de rire, cheminaient péniblement par leurs attelages surchargés. A mesure qu’on avançait, des volontaires détachés des villages voisins venaient se joindre au corps expéditionnaire. Il s’augmenta, en outre, de deux mille hommes qui arrivaient de Rouen pour se mettre à la disposition du gouvernement, ainsi que du contingent d’Elbeuf et de quelques autres villes.