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conséquence, ils avaient pensé à M. Roy, à Victor et à M. Royer-Collard ; qu’ils avaient même envoyé un courrier à M. de Richelieu. Victor lui a toujours fait la même réponse.

« M. Royer-Collard est venu le soir, dans l’intention, je suppose, de voir Victor, qui était très souffrant et couché. Il était très doctoral, comme toujours. Il nous a dit : « Le ministère a besoin de se radouber ; je ne crois pas qu’il résulte de tout cela rien de bon… — Mais, lui ai-je dît, les choix pourraient être bons. — Mais les bons, a-t-il repris, pourraient être fort exigeans. » Il a le doute le plus dogmatique et l’incertitude la plus tranchante qu’on puisse voir.

« M. Guizot ne sait pas qu’on a écrit à M. de Richelieu, de façon qu’ils s’attrapent mutuellement.

« M. Royer-Collard a été chez M. Decazes ; il lui a fait des conditions très dures ; il a commencé par lui dire : « Je n’accepterai pas si vous êtes le maître. » M. Decazes est resté fort pensif ; tout cela ne lui plait guère. »


« 19 novembre. — M. Royer-Collard est venu chez Victor, et il y a passé une partie de la matinée. Il fuit des conditions très difficiles. « Je veux, a-t-il dit, que l’étendard de ce ministère soit l’expulsion morale de M. Decazes. » Il ne veut point que M. Decazes reste président du conseil. Il ne veut entendre parler ni de M. Mollien, ni de M. Pasquier, ni de M. Portal. M. du Serre avait l’air de compter sur la coopération de Victor, et Victor en était fort troublé. « Je ne peux pas souffrir d’avoir l’air de me cacher, » disait-il. Il a été fort longtemps à s’endormir.

« Hier matin 18, il est entré chez moi avec une grande lettre, où il exposait tous les motifs qui le portaient à croire qu’il serait nuisible à la cause. A six heures, est arrivé M. de Serre ; il avait envoyé la lettre de Victor à M. Decazes, qui l’avait apportée au roi ; il apportait la réponse du roi à M. Decazes. Cette lettre était très gracieuse, très bien écrite et faite pour être montrée. Victor est dans la joie de son cœur. »


« 20 novembre. — L’agitation est grande ; les agens de change sont déconcertés ; les fonds tombent. On est effrayé de la mesure et des noms qui la proposent.

« M. Mollien est venu, ce matin, consulter Victor, qui l’a engagé à accepter. M. de Barante me dit que M. Royer-Collard a beaucoup d’humeur et qu’on n’en peut rien tirer. Après une longue conversation, il a fini par dire à M. de Serre : Eh bien ! nous périrons ; c’est aussi une solution.

« Jamais le pays n’a été dans une confusion pareille.

« La réunion Ternaux est effrayée à présent du nouveau ministère, après l’avoir été de toutes choses.