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« Toutes les paroles de M. de Serre me paraissent avoir de la valeur ; il me semble qu’elles viennent du cœur et qu’elles y arrivent. »

« 24 novembre. — M. d’Argenson a dîné hier avec nous. Victor lui a parlé avec beaucoup de vivacité. Il écoute avec une grande attention, entre dans toutes les idées de celui qui lui parle, et puis cela ne fait pas varier d’une ligne son opinion. Il en revenait toujours à nous dire : « Le but de tout cela, c’est d’avoir une représentation nationale docile. »

« Le centre de la chambre offre de changer la loi des élections, sans toucher à la Charte ; il offre également la censure sur les journaux. Ce qui prouve que ce n’est pas l’amour de la liberté qui le retient, mais la peur, sentiment de Protée qui prend toutes les formes. »


« 29 novembre. — J’ai été à la séance royale. Ces cérémonies donnent toujours de l’émotion. Les pairs sont arrivés avec leur costume. Il n’y a rien de si ridicule que ces vieux costumes tout neufs, ce sont les ruines factices des jardins anglais. Le roi marchait avec beaucoup de peine. L’entrée a été froide et solennelle. Il a commencé son discours d’une voix troublée. Le discours est excellent. La loi y est annoncée d’une façon nette, ferme et loyale. Il a parlé un langage patriotique ; il a dit : nos institutions, notre patrie… il ne s’était jamais mis si fort en commun avec son peuple. Mais il hésitait, il récitait indignement, il se reprenait dans les momens où il fallait le plus de force ; il tremblotait en parlant de son inébranlable fermeté. Il était mal entouré ; le garde des sceaux, malade, émit absent. M. Decazes avait l’air fort triste ; Grégoire n’était pas à la séance, on ne l’a point appelé au serment. »


« 1er décembre. — Je crois que le discours a fait bon effet. »


« 8 décembre. — Hier M. de Talleyrand a dîné chez moi. Il est à présent très bien pour Victor et le recherche beaucoup. Il a une conversation de prince, c’est-à-dire une de ces conversations où tout ce que l’on dit compte, quelle qu’en soit la valeur. Je cherchais, pendant tout ce temps, ce que ma mère m’avait dit sur la grâce de M. de Talleyrand, et j’avais peine à placer ce charme et cette gaieté sur ce visage grave et usé.

« Si l’on veut faire passer la loi, disait-il, il faut que le ministère soit décidé à n’accepter aucun amendement ; point de négociations et point d’intrigues. Il l’a répété plus de vingt fois à chaque personne, ajoutant : « Voilà comment il faut faire ; voilà comme on réussira. » Nous avons ensuite parlé de M. de Serre ; il a fait l’éloge de son talent. On a dit que M. de Serre hésitait et cherchait souvent ses mots à la tribune. M. de Talleyrand a dit : « On peut toujours chercher ses paroles, pourvu qu’on les trouve. » Il y a chez lui une