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juste sentiment que les populations s’éloignent d’eux. Les descendans des familles qui ont régné sur la France ne paraissaient pas redoutables quand leurs amis détenaient les avenues du pouvoir, quand eux-mêmes exerçaient de grands commandemens dans l’armée, personne ne songeait alors à exiler ces citoyens français parce qu’ils se distinguent de la foule par l’illustration de leurs ancêtres; c’est qu’alors il y avait un gouvernement et des hommes tels que Thiers et Gambetta, dans lesquels le grand nombre avait confiance. Les auteurs de la proposition actuelle ne se trompent pas quand ils pensent que le pays n’attend rien d’eux et que, à cette heure, le morne silence de la nation ne témoigne pas d’un grand enthousiasme pour eux ; ils éprouvent le sentiment qu’avaient, avant 1870, ceux qui maintenaient en exil ces mêmes princes: ils croyaient assurer l’avenir. Ces précautions sont vaines, l’histoire l’a montré bien des fois depuis un siècle. On peut se donner la peine inutile d’expulser tous ceux qui ont quelque crédit auprès du peuple ; on peut même y joindre les généraux et les capitaines ; malgré ces précautions, on ne peut pas exposer impunément un peuple à l’invasion ou à l’anarchie. Vous n’avez qu’un adversaire redoutable, ce sont vos fautes ; hâtez-vous de les réparer, n’attendez pas qu’il soit trop tard.

Si une chambre sans majorité est condamnée à la stérilité législative, elle peut, profitant de la faiblesse du gouvernement, se substituer à lui et intervenir dans le choix du personnel de l’administration. C’est le triste spectacle que nous offre le parlement depuis quelques années. Se figure-t-on ce que doit être le recrutement des fonctionnaires désignés par des hommes que domine la préoccupation électorale? Est-il possible d’admettre que, dans un pays où les choix sont trop souvent dictés par les députés, les besoins du service ne soient pas sacrifiés à des exigences politiques ? Sans doute, les chefs des grandes administrations publiques essaient, souvent avec courage, quelquefois avec succès, de défendre leur personnel, de veiller à son bon recrutement, à son avancement hiérarchique, et on est heureux de reconnaître que, malgré l’intervention funeste du parlement, ils y ont réussi dans une certaine mesure ; on est étonné de trouver encore un grand nombre de fonctionnaires qui ne sont pas de simples agens électoraux. Mais hélas! le mal fait des progrès, les meilleurs agens sont découragés ; on voit de plus en plus les membres des comités électoraux envahir les fonctions publiques; on verra bientôt dans les départemens représentés par des radicaux des fonctionnaires en grand nombre appartenir à cette opinion et dans les autres, les opportunistes dicteront leurs choix ; les radicaux seront de plus en