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ni sécurité pour les touristes. A moins d’être un de ces grands aventuriers, comme il en existe tant aujourd’hui, dont l’âme est d’acier et dont le corps n’est pas d’un métal moins solide, à moins de se sentir moralement et physiquement capable de supporter toutes les privations, de braver toutes les misères, le seul moyen de parcourir une région si voisine de nous et qui nous est néanmoins si complètement fermée, est de suivre une des ambassades que les puissances européennes envoient par fuis saluer le sultan du Maroc dans une de ses trois capitales, Maroc, Fès et Meknès. C’est ce qu’une heureuse circonstance m’a permis de faire. j’avais eu occasion de voir de près à Tripoli, où il était alors consul général, notre nouveau ministre à Tanger, M. Féraud; j’avais pu apprécier le diplomate qui, comme agent arabe, est hors de pair, et l’homme privé, qui est un des plus intelligens, des plus aimables, des plus charmans qu’il soit possible de rencontrer; j’étais devenu son ami. Lorsqu’il m’a proposé de l’accompagner à Tanger, j’ai accepté son offre avec joie ; tous mes instincts nomades se sont réveillés à la pensée de cette nouvelle course dans l’inconnu. Ombre de Sidi-Okba, que de fois tu m’es apparue dans mes rêves, tandis que je franchissais à toute vapeur l’Espagne afin d’arriver plus vite à Tanger, où je craignais sans cesse que l’ambassade française, trop pressée de partir, ne m’eût point attendu et eût pris sans moi cette route de Fès que je me figurais si belle, sous le soleil africain !

J’avais entendu affirmer bien souvent, en effet, qu’en dépit de sa situation à l’extrême Occident, Maghreb-el-Acsa, comme disent les Arabes, le Maroc était plus oriental que l’Orient. Que de voyageurs enthousiastes, ayant touché à Tanger après une excursion en Espagne, m’avaient parlé de sa lumière translucide, dans laquelle Henri Regnault avait trempé son magique pinceau, sans parvenir à le colorer de ses tons d’un inimitable éclat ! — Non, me répétaient-ils, non, il n’y a rien de pareil en Syrie ou en Égypte! Se fût-il baigné dans l’éblouissante limpidité de l’atmosphère de Damas ou de Louqsor, celui qui n’a point admiré les lueurs de l’aurore ou du couchant lorsqu’elles rougissent les murailles en ruine de Tanger, ignore ce que c’est que la clarté!

Sous la pluie, qui tombait à flots en Espagne, j’avais lu, blotti au fond de mon wagon, dans un livre d’apparence sérieuse : « l’un des résidens de Tanger, qui a habité Le Caire, me disait qu’il préfère mille fois le climat du Maroc à celui de l’Égypte... Le séjour de Tanger est très sain, en dépit de l’incroyable saleté de la ville. Tanger serait une excellente station d’hiver pour le malades... » j’attendais donc, non sans une impatience fébrile, le délicieux spectacle, si fréquemment annoncé, de la blanche Tanger sortant des flots bleus,