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réchauffer. Nous pûmes même nous coucher avec quelque espoir au cœur. Hélas ! cet espoir ne tut pas de longue durée. À peine nous étions-nous étendus tout habillés, la tête soigneusement couverte, sur nos lits de camp, qu’un bruit formidable se fit entendre. C’était l’orage qui recommençait. En cinq minutes, des trombes d’eau s’abattaient sur nos tentes, qui furent changées en véritables rivières. On avait eu soin de les construire, comme je l’ai dit, au penchant d’une colline, ou plutôt dans la vallée placée au-dessous de cette colline. C’était le fils du pacha de Tanger, chargé de nous faire escorte avec son goum, qui avait imaginé cette manière de marquer l’infériorité des chrétiens vis-à-vis des musulmans : il avait campé au haut de la colline et il nous avait relégués sous lui, voulant à la fois être à son aise et nous dominer, trouver, comme dans la fable, son bien premièrement et puis le mal d’autrui. Grâce à cette ingénieuse combinaison, nous étions en plein torrent; en plongeant nos mains sous nos lits, nous avions de l’eau jusqu’à l’épaule; tous nos effets nageaient autour de nous; nos têtes n’étaient pas mieux garanties que le reste, car d’énormes jets de pluie traversaient la toiture des tentes et arrivaient sur nous avec fracas. La nuit était d’une noirceur opaque avec des secondes de lueurs fulgurantes quand un éclair la déchirait. Je me sentais envahi par le désespoir, je jurais mes grands dieux de rentrer le lendemain même à Tanger et de prendre résolument le premier bateau en partance pour l’Europe, quittant ce pays inhospitalier, où j’étais venu chercher le soleil et où je ne trouvais que le déluge. J’avais pour compagnon de tente M. Henri Duveyrier, dont j’avais admiré toute la journée l’impassibilité. — Du moins, me disais-je, voilà un vrai voyageur qu’aucun désastre n’émeut! — Tout à coup, je l’entends pousser les plus tristes soupirs, déclarer qu’il n’a jamais vu chose pareille, que c’est intolérable, qu’il n’y a plus d’Afrique, qu’il faut repartir au plus tôt pour l’Europe. — Lui aussi ! c’en était trop, et lorsque sa voix plaintive se tut, brisée par la fatigue, je me laissai aller au dernier degré du découragement. L’orage s’éteignait, les éclairs avaient disparu : toutefois je voyais parfaitement des lueurs vacillantes, je ne savais lesquelles, colorer fantastiquement la toile de ma tente. Dans la disposition d’esprit où j’étais, j’aurais cru aux plus folles apparitions. Par bonheur, le mystère me fut expliqué par M. Féraud, qui entra dans ma tente vers deux heures du matin avec une lanterne sourde. En vrai chef de caravane, au lieu de rester sur son lit, il était allé de tente en tente, faisant faire autour de chacune des rigoles pour laisser l’eau s’écouler, consolidant des piquets qui permettaient à la toile de résister au vent, luttant autant que possible contre ce déchaînement de toutes les horreurs de la nature. Je m’empressai de lui faire part