Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/875

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sans donner aucune marque d’impatience. C’est ainsi que se finit ma journée. La nuit, je dormis peu. Deux récitateurs du Coran psalmodiaient d’une voix haute, claire et mélancolique des versets du livre saint. Jusqu’à l’aurore, ils ne s’arrêtèrent pas une minute. Chaque fois que je me réveillais, je les entendais tantôt se répondre, tantôt chanter à l’unisson sur un mode d’une éternelle monotonie. Etaient-ce des fanatiques qui nous narguaient? Voulaient-ils, par leurs prières, purifier le pays que nous souillions? Avaient-ils la prétention de nous édifier? Ayant entendu parler de la science théologique de M. Féraud et sachant qu’il était affilié à un ordre musulman, songeaient-ils à l’édifier, à lui souhaiter une sorte de bienvenue? Je l’ignore; mais quel que fût leur dessein, leur mélodie aiguë et traînante n’était pas sans charme, au milieu du silence universel de la terre, accompagnée seulement par le bruit de l’océan, qui n’était ni plus lent, ni plus triste, ni plus uniforme qu’elle, et qui semblait résonner aussi comme une protestation, une plainte, une supplication ou une caresse toujours incomprise, et, par suite, toujours obstinément répétée.


IV. — LE SBOU.

C’est à quatre heures et demie du matin que nous dûmes quitter El-Arâïch, car nous avions une longue étape à faire avant d’arriver au campement. Le temps était sombre ; parfois, de petites averses venaient nous rappeler que le Maroc était un pays pluvieux et que Dieu n’avait pas fait de pacte avec nous, comme avec Moïse, pour nous préserver d’un nouveau déluge. Cependant, nous entrions dans un pays d’une merveilleuse richesse, dans la fameuse province du Gharb, qui jouit dans tout l’empire d’une réputation de fertilité non usurpée. Quoique la terre y soit à peine cultivée, elle porte de magnifiques moissons ; les villages y sont nombreux, entourés de jardins de l’aspect le plus riant. Partout où s’arrêtent les champs ensemencés commencent des prairies où l’herbe devient si haute, dans les années humides comme celle-ci, qu’elle atteignait souvent le poitrail de nos chevaux. Le safran sauvage, la scille et l’iris, que nous retrouvions partout, le ricin et la férule couvraient le sol de leurs fleurs. Nous rencontrions aussi de nombreux azeroliers fleuris, aux tiges énormes et tortueuses. Au loin, une ligne plus verte s’offrait à nos regards. Nous en approchions; c’était une forêt, une vraie forêt cette fois, avec des arbres aussi grands que les plus grands d’Europe, aussi touffus, aussi imposans. Nous cheminions tantôt au milieu de vastes et vertes clairières, tantôt à l’ombre de chênes gigantesques et plusieurs fois séculaires. Par malheur, la hache du bûcheron promène la dévastation