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Les Allemands font des raisonnemens de cette sorte, ou plutôt, car il n’y a point là de logique, ils enchevêtrent des sentimens contradictoires. Un de mes amis, parlant à une dame, wagnérienne déraisonnable, exprimait le regret que son héros, après avoir été si ardent républicain, eût composé la marche impériale : « Taisez-vous, répliqua la dame ; il a fait cela d’une façon idéale; vous autres Français, vous ne pouvez comprendre ces choses-là. » Nous comprenons mal, en effet, ces complications, et tout de suite nous crions à l’hypocrisie.

Hypocrisie, c’est bientôt dit ; mais étudiez une phrase allemande, voyez comme elle se meut, par quelles traverses, après quels heurts et quelle stagnation elle arrive au but, à moins qu’elle ne veuille arriver à rien. Voyez comme elle se modèle sur la réalité des choses et sur la complexité des idées, ne faisant violence ni aux unes ni aux autres, les recouvrant de la forme qui leur convient, analysant toujours, au lieu d’aligner, de simplifier et d’imposer une synthèse préalable. La phrase allemande est un moulage, la nôtre une sculpture.


Nous n’avons pas, dit Mardoche,
Le crâne fait de même...


22 avril. — Vu l’université, le bâtiment central et les instituts des professeurs Helmholtz, Dubois-Reymond, Virchow, etc., etc.

Sur le bâtiment principal, la dédicace du roi : Frédéric-Guillaume III à l’université des lettres. Tous les monumens et les socles des statues portent des mentions semblables. C’est une coutume des souverains allemands de mettre leur nom partout. J’ai lu, à l’entrée du jardin botanique de Munich, une inscription qui peut être ainsi traduite : « Les fleurs que Dieu a disséminées dans les diverses parties du monde, Maximilien les a réunies ici. »

Les rois de Prusse ont presque toujours raison de s’écrire ainsi sur les frontispices; tout ou presque tout procède d’eux, mais ils n’ont point fait seuls l’université. La pensée première appartient à des idéalistes, c’est-à-dire à des hommes qui avaient foi en l’idéal. Au-dessus des misères et des ridicules de l’Allemagne politique planait l’idéal en plein ciel ; après Iéna, il est descendu sur la Prusse : incarné dans cette force, il en a été l’âme.

Cette partie des Tilleuls où s’élève l’université me semble un chapitre d’histoire écrit avec des monumens. L’université, — un de ses maîtres l’a dit, — est une grande caserne intellectuelle ; elle est placée entre l’arsenal et le principal corps de garde : devant son péristyle s’élève la statue de Humboldt, devant le corps de