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un ténor anglais, dans un bon style; dans un style admirable par M me Krauss et M. Faure. M. Faure a notamment donné aux récits du jugement une ampleur, une dignité toute divine; il est bien vrai, comme on l’a dit en un langage original, qu’il chante en majuscules. Quant à Mme Krauss, puisse son succès lui prouver qu’elle peut avoir reçu de l’Opéra, mais non pas de nous tous, le congé anticipé et irrespectueux qui nous a privés d’elle! Le foyer brûle toujours dans l’âme de l’incomparable artiste, et nous avons été heureux d’en sentir encore une fois le chaud rayonnement.


Les ouvrages représentés cette année-ci à l’Opéra-Comique vivent à peine assez pour qu’on ait le temps de parler d’eux. Maître Ambros a passé presque aussi vite que le Mari d’un jour et que Plutus : il méritait pourtant un moins sévère accueil. Le livret, je l’accorde, n’est pas des plus intéressans, encore moins des plus nouveaux, mais on a fait des chefs-d’œuvre sur des poèmes autrement pauvres, sur des vers autrement ridicules.

Maître Ambros est un marin hollandais qui recueillit jadis la fille de son amiral, Nella, l’orpheline de rigueur à l’Opéra-Comique. Il aime sa pupille, qu’aime aussi le capitaine Hendrick. il ne déplaît pas à Nella d’être doublement courtisée; mais au fond, c’est Ambros qu’elle préfère, et elle ne tarde pas à le lui déclarer. Malgré le choix de la jeune fille, l’indélicat Hendrick ne se retire pas, et le vertueux Ambros, que lie envers son rival la reconnaissance d’un bienfait ancien, n’hésite pas à se sacrifier : pour se rendre odieux à sa fiancée, il feint de s’enivrer en sa présence, jusqu’à rouler endormi sur le pavé d’un carrefour. Voilà la partie amoureuse de la pièce. En voici la partie patriotique : l’action se passe dans Amsterdam, assiégée par Guillaume d’Orange. Ambros et Hendrick, à la tête de la milice bourgeoise, ont organisé la défense et résolu de crever les digues et d’inonder le territoire plutôt que de se rendre. Mais un traître, Anton, est parmi les officiers. Croyant véritablement ivre Ambros, qu’il a poussé lui-même à boire, Anton espère profiter de l’absence de son chef pour le remplacer, empêcher le signal convenu et ouvrir les portes à l’ennemi. Nella, qui a tout entendu, court aux remparts : puisque Ambros a failli au devoir et démérité de son amour, qu’Hendrick prenne le commandement; elle-même jure d’appartenir à qui sauvera la ville. Naturellement Ambros paraît à temps; il intimide les traîtres, fait donner le signal, et Nella, pour tenir tous ses sermens, n’a plus qu’à se donner à lui.

C’est la première fois que M. Widor écrit pour le théâtre de la musique chantée; sa musique dansée de la Korrigane avait beaucoup de poésie et d’éloquence, et ce ballet charmant a obtenu un succès mérité.