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comprise et finement rendue. L’air du baryton : Triste amour, est fort touchant; un excellent récitatif le précède ; le trio final : Allons, plaidez pour le timide est mélodique et facile. Signalons enfin, au début de ce premier tableau, le chœur très bien venu : Verse en nos âmes le courage, dont l’inspiration est franche, la facture nette, et l’idée mère rappelée çà et là par l’orchestre avec ingéniosité.

Le troisième tableau est presque aussi agréable que le premier. L’air de Nella : J’ai deux amoureux, est gracieux et coquet, peut-être un peu mièvre, mais rythmé, harmonisé surtout avec beaucoup d’originalité et de saveur. Le duo qui suit ne manque ni de passion, ni d’éclat, et l’acte s’achève par la poétique apparition de la jeune fille redisant derrière les fleurs de sa fenêtre le refrain de sa chanson marine.

Il faudrait louer avant de finir la pittoresque petite kermesse et la ronde de nuit du quatrième tableau, et, dans le dernier acte, une romance aux étoiles qui, pour ne pas tenir à l’action, n’en est pas moins une rêverie délicieuse, tout imprégnée des langueurs de la nuit. M. Lubert la chante malheureusement avec une voix sèche et un style saccadé. Tout autrement chante M. Bouvet : sa voix est tendre et sa diction égale; dans le rôle d’Ambros, comme dans celui de Blondel lors de la dernière reprise de Richard, nous avons été charmé de son timbre moelleux et de son accent pénétrant; c’est un artiste distingué.

De ce naufrage de Maître Ambros nous avons, tout compte fait, sauvé bien des épaves; de cet ensemble effacé plus d’un détail restera certainement dans notre souvenir. Il serait hardi, après un premier essai seulement, de prédire à M. Widor le chemin qu’il suivra, surtout de lui marquer celui qu’il devrait suivre; mais il pourrait, selon nous, réussir à merveille dans un opéra comique de demi-caractère, où ne se trouverait ni grande passion, ni grande action. Nous voudrions pour lui un sujet intime, un décor fermé pour ainsi dire, quelque chose comme le livret de l’Eclair par exemple, avec une couleur plus moderne, un parfum plus relevé. Deux ou trois actes gracieux, poétiques, dans le style du premier et du troisième tableau de Maître Ambros, feraient une œuvre charmante. Nous ne savons quel en pourrait être le librettiste; mais M. Widor en serait certainement le musicien, et nous souhaitons de tout cœur qu’il le soit au plus vite.


CAMILLE BELLAIGUE.