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Elle fait que l’animal ou l’homme, en présence d’un objet inconnu, ou excités par un bruit soudain, ou stimulés par la vue de certains objets, ressentent l’émotion de la peur, et répondent à l’excitation par les réactions de la peur.

Ces réactions sont la fuite ou l’immobilité. Elles sont diversement utiles. La fuite sert à ceux qui sont rapides ; l’immobilité sert à ceux qui peuvent se cacher et dissimuler leur présence. Aussi la peur peut-elle tantôt exciter la fuite, tantôt, si elle est plus intense, paralyser les mouvemens.

Chez l’animal, l’émotion de la conscience ne nous est guère connue ; mais nous savons bien ce qu’elle est chez l’homme. C’est un sentiment pénible, une angoisse cruelle, que ni la volonté, ni l’attention ne peuvent vaincre.

L’homme, dont l’intelligence peut atteindre aux causes et aux lois des phénomènes, l’homme sait qu’il doit vivre, — il ne sait guère pourquoi, — et l’amour de la vie est solidement enfoncé en lui, si bien que tout ce qui offense la vie, — c’est-à-dire la douleur et la mort, — sera motif de frayeur. Si l’on a peur, c’est parce que l’image de la douleur et de la mort est là, et que notre être tout entier a une répulsion profonde de la douleur et de la mort.

Ainsi l’animal n’a que des peurs irraisonnées, irréfléchies, dues à une longue hérédité. Mais l’homme, outre ces frayeurs instinctives, est capable de comprendre les périls qui le menacent ; et alors il a la peur de la mort et la peur du danger. L’animal a peur sans savoir pourquoi. L’homme, quoique ayant, lui aussi, peur sans savoir pourquoi, se rend compte parfois que sa peur est due à la mort qui le menace.

La peur est donc en dernière analyse une protection contre la mort. Mais, quelque salutaire qu’il soit, ce sentiment que la nature nous a inspiré doit être énergiquement combattu : c’est une émotion d’ordre inférieur qu’il faut tâcher de dominer et de soumettre aux conditions morales de notre existence.

Il faut s’efforcer de se vaincre soi-même, et de remplacer les images de terreur par d’autres images supérieures, qui peut-être triompheront de la peur, l’oubli de soi-même, l’abnégation, le devoir. Certes ces idées ne seront pas sans utilité ; mais peut-être un moyen plus efficace, — quoique plus humble, — est de s’habituer au danger, et d’envisager souvent, aussi souvent que possible, sans bravade, mais sans tristesse, l’image de la mort qui nous attend tous les uns et les autres.

Charles Richet.