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qui reposait lui-même sur un tapis dont les huit porteurs tenaient le milieu et les extrémités ! A la vue de cette mouna prodigieuse, témoignant de la plus cordiale hospitalité, M. Féraud fit ranger tous les Arabes en cercle, et, avant qu’on procédât à la réception et à la distribution des vivres, il ordonna à notre fkih de dire tout haut la Falhia, c’est-à-dire la prière musulmane qui répond à ce qu’est notre Pater, pour la guérison du caïd, pour la prospérité du sultan et du gouvernement de la France, enfin pour le maintien indéfini des bonnes relations entre les deux pays. Les Arabes, qui avaient été très intrigués lorsqu’on les avait rangés en cercle, s’inclinèrent avec émotion et reconnaissance. M. Féraud avait fait un coup de maître. En arrivant à Fès, tout ce monde nous a parlé de cette fameuse Falhia pour le sultan et pour la France, dont l’écho avait retenti dans tout le Maroc. Dussent bien des gens en rire, je dois avouer qu’elle m’a profondément ému. It y avait quelque chose de noble, de simple et de grand dans cette manière de remercier le vieux cheik de sa généreuse hospitalité, en priant à la fois pour lui, pour son souverain et pour les deux pays amis, qui se témoignaient ainsi leur sympathie ; en tout cas, c’était encore une coutume bien antique que cette manière de faire intervenir Dieu dans l’hospitalité. Nous étions enveloppés du crépuscule doré du soir ; je n’avais en face de moi que des figures graves et recueillies ; notre fkih parlait à voix haute au milieu d’un silence religieux. Pour un moment, j’ai été arraché à l’heure présente et j’ai senti tressaillir en moi toutes les impressions des âges évanouis.


VI. — DERNIÈRES JOURNÉES DE MARCHE.

Nous approchions de Fès ; nous n’avions plus que trois étapes à parcourir pour y arriver ; encore la dernière n’était-elle pas une véritable étape, car elle devait durer moins d’une heure. Le pays que nous avions à traverser était toujours un pays de montagnes plus ou moins nues et tristes, en dépit de leurs parures de fleurs. Toutefois, en longeant le Djebel-Zerhoum, le spectacle qui se présentait à nos yeux était un peu différent de celui que nous avions vu jusque-là. Parfois de grandes forêts qu’on était tout surpris de rencontrer dans un pays aussi généralement pelé escaladaient les pentes, couvraient les précipices, descendaient jusque dans les vallées profondes. C’étaient des forêts d’oliviers, très régulièrement plantées, et qui, de loin du moins, semblaient fort bien cultivées. Nous étions dans une contrée berbère. A la lisière des forêts d’oliviers s’étalaient de grands villages bâtis en pierres et soigneusement blanchis