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d’Italie, où la technique du violon était bien autrement avancée qu’en Bourgogne et qu’à Paris même[1]. Il fallait vivre pourtant. Un entrepreneur de spectacles raccolait quelques musiciens pour jouer l’opéra dans le midi de la France ; Rameau s’enrôla dans sa troupe et en partagea pendant plusieurs années la vie nomade. Ce fut dans l’une de ces tournées qu’un organiste de Montpellier, Lacroix, lui enseigna la « règle de l’octave, » autrement dit la gamme harmonique, quelque chose d’aussi rudimentaire que la déclinaison grecque ou latine, mais dont les organistes de Dijon et de bien d’autres villes n’avaient jamais ouï parler. Voilà où en était, il y a deux cents ans, en France, la théorie musicale.

Toute cette période de l’existence de Rameau est un dédale, et M. Arthur Pougin s’est efforcé vainement d’en retrouver le fil. Il parle, d’après Chabanon, d’un premier voyage à Paris que Rameau aurait fait en 1706, et il rapporte à cette époque la publication de sa première œuvre. Il existe, en effet, de Rameau, un recueil de pièces de clavecin portant la date de 1706, et cité, d’ailleurs, dans l’éloge historique de Maret. Mais, comme Rameau y est qualifié d’organiste des jésuites et des pères de la Merci, fonction qu’il n’exerça que dix ans plus tard et seulement comme suppléant, il faut croire à quelque faute du graveur. Si Rameau avait été pourvu en titre à Paris dès 1706, on ne s’expliquerait pas comment il aurait eu besoin d’y concourir, en 1717, pour une place d’organiste, et encore moins pourquoi il se serait cru obligé de s’expatrier après son échec. Or, sur la date du concours, sur l’échec et le départ de Rameau, Maret, Chabanon, de Croix et l’abbé de Fontenai sont d’accord. C’est donc en débarquant de sa province, ou peu après, que Rameau posa sa candidature à l’orgue de Saint-Paul. Quelques mois, un an tout au plus à l’avance, il s’était mis à l’école de Marchand, le plus célèbre organiste de la capitale, le même qui devait aller défier Sébastien Bach à Dresde et s’enfuir honteusement la veille du tournoi. Marchand prit Rameau en affection et le choisit pour le remplacer dans l’une des nombreuses places qu’il cumulait, suivant l’usage d’alors ; c’est ainsi que Rameau, en faisant paraître ses pièces de clavecin, put, avec quelque apparence de fondement, se donner comme organiste des jésuites, titre qui appartenait à Marchand. Cette légère usurpation de qualité froissa sans doute l’amour-propre chatouilleux du titulaire ; toujours est-il que ses dispositions bienveillantes envers son élève se modifièrent tout à coup. Faut-il y voir, comme l’a prétendu Rameau, la cause

  1. Schletterer, Studien zur Geschichte der französischen Musik, ii, p. 54. Berlin, 1884.