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vans la cherchaient encore sans être parvenus à la trouver. Mais la musique des mathématiciens a ses règles à elle. Elle n’admet de combinaisons que celles que lui donnent ses proportions et ses calculs ; tant qu’il lui en manque, l’oreille doit s’en passer : au moyen-âge, elle avait imposé la quarte, et proscrit, comme dissonantes, la tierce et la sixte ! On pense bien que les musiciens n’avaient pas longtemps attendu pour secouer ses lisières. Avec l’orgue et, plus tard, le clavecin, ils avaient sous la main toutes les richesses ; ils ne se firent pas faute d’en user. L’harmonie grandissait ainsi chaque jour ; cependant la science, qu’on n’avait pas conviée à son baptême, continuait à la bouder. On sentait bien que certaines notes s’appellent l’une l’autre par une attraction presque irrésistible, mais de là à dégager la loi de leurs affinités, il y avait, pour la méthode empirique, un abîme infranchissable. Rameau eut l’honneur de réconcilier les mathématiques et la musique, les données du calcul et les exigences de l’oreille. Descartes et le P. Mersenne avaient observé que l’octave est donnée par la division d’une corde sonore en deux parties égales, qu’elle est ainsi le premier et le plus naturel des intervalles ; la tradition et l’instinct avaient déjà conduit Zarlino au même point ; on avait d’ailleurs remarqué depuis longtemps que, dans la nature, la différence d’une octave à l’autre est si peu sensible qu’un soprano et un ténor croient chanter à l’unisson quand ils chantent en réalité à l’octave. De cet ensemble de témoignages, Rameau conclut hardiment qu’en harmonie, la note et son octave sont identiques ; que, par conséquent, toute note d’un accord peut être transposée d’une octave au grave ou à l’aigu, sans que l’accord soit altéré dans son essence : si donc, disait-il, la fonction de la note dans l’accord est indépendante de la place qu’elle y occupe, la note principale ou fondamentale peut se trouver indifféremment, soit à la basse, soit dans toute autre partie, de telle sorte qu’en rétablissant mentalement cette note dans sa position normale, en d’autres termes, en substituant, par la pensée, la basse fondamentale à la basse réelle, on ramènera tous les accords à un certain nombre d’accords principaux. On avait pris, jusque-là, les différens états d’un même accord pour autant d’accords distincts : le système de la basse fondamentale fit cesser cette confusion. Il ne fallait plus qu’un pas pour découvrir que l’accord renversé obéit aux mêmes affinités, aux mêmes lois d’enchaînement que l’accord principal dont il dérive, et quand Rameau eut poussé jusqu’à cette dernière conséquence, la méthode scientifique de l’harmonie fut créée.

Il y avait bien, sans doute, à faire quelques réserves. Mathématiquement, l’identité des octaves est une erreur qu’Euler se donna bien inutilement la peine de démontrer. Même musicalement, l’équivalence de l’accord fondamental et de ses renversemens est loin