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Parfois même il arrive à quelques habiles d’animer leurs édifices par l’adjonction de figurines en action et d’en faire ainsi les théâtres de véritables scènes archéologiques et historiques. Ces libertés eussent autrefois scandalisé les maîtres respectueux du compas et du tire-ligne. Nous reconnaissons que l’aisance avec laquelle est coloriée une coupe d’édifice n’offre nulle garantie pour la solidité de sa construction. La statique a des lois qui ne se découvrent pas dans le fond d’un godet, et la critique technique de la qualité des matériaux, de la valeur de l’appareil, des moyens d’exécution, sera toujours réservée aux gens du métier. Cependant, l’architecture est l’art qui, dans ses manifestations réelles, nous intéresse tous le plus directement, c’est l’art qui, en somme, nous parle le plus fréquemment et le plus vivement aux yeux dans le pays que nous habitans ou dans les pays que nous parcourons, c’est l’art qui, plus que tous les autres, différencie les races, les époques et les mœurs ; on peut donc ne pas être du métier et adorer l’architecture. C’est notre cas ; aussi sommes-nous sincèrement reconnaissans à tous les architectes qui ne croient pas déchoir en nous parlant d’abord un langage plus clair et plus coloré. Dès que nous l’aurons entendu, nous serons désireux d’en savoir davantage. La vue d’un beau monument donne inévitablement l’envie d’en connaître l’organisme et l’histoire. Lorsque les yeux ont trouvé un sérieux plaisir à parcourir un ensemble, ils sont bien disposés à regarder de près les détails, même si ces détails sont sévères. Il nous semble donc que ces innovations peuvent être favorablement accueillies, à la condition qu’on n’en abuse pas, car, dans ces travaux où la science doit servir de guide à l’esthétique, on a toujours besoin de retrouver le constructeur sous le dessinateur, la solidité de l’esprit sous l’habileté de la main. Ce serait compromettre le succès de ces concessions utiles que de les pousser à l’extrême, comme y semblent disposés quelques jeunes gens qui, sous prétexte d’architecture, mêlent à leurs études de voyage des croquis de paysage ou de bric-à-brac qui n’ont vraiment rien à faire là. Question de mesure et de goût sur laquelle le jury d’admission peut aisément veiller !

Les dessins d’architecture se divisent toujours en deux séries, les études sur le passé, les projets pour l’avenir. Les architectes se divisent toujours en deux groupes, naguère d’attitudes hostiles, mais que la raison et la nécessité, dans l’intérêt de l’art et du pays, rapprochent heureusement de plus en plus : le groupe des classiques qui vont puiser leurs principes dans les monumens grecs, romains et italiens, le groupe des indépendans qui demandent plus volontiers leurs conseils à nos ancêtres français du moyen âge. L’exclusivisme, en ces matières, a rarement porté d’heureux fruits