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si peu satisfaits, il se mêlait tant de mélancolie à leur bonheur que leur parlement attendit deux mois entiers avant de se résoudre à ratifier le traité.

Louis II fit plus que son devoir en 1870 ; il prévint les désirs du roi Guillaume en l’engageant à prendre le titre d’empereur. « L’imagination du jeune roi de Bavière, a dit un historien, fut émue par les grandes choses qui s’accomplissaient à Versailles ; il voulut être le premier à déposer aux pieds du vainqueur la glorieuse couronne de Frédéric Barberousse. » On aurait tort d’expliquer sa démarche par un entraînement du cœur, par un transport d’enthousiasme ; s’il n’avait écouté que son imagination ombrageuse, prompte à s’effaroucher, il se serait retiré sous sa tente et aurait passé le reste de ses jours à protester contre sa diminution, à bouder contre sa destinée. Mais on le circonvint, on pesa sur lui, on le raisonna, on le travailla. Plusieurs de ses conseillers intimes s’étaient laissé gagner à la politique prussienne et s’en constituaient les défenseurs ; le plus zélé de ces avocats était ce même comte Holnstein qui, l’autre jour, allait le trouver à Hohenschwangau pour lui signifier qu’il n’était plus rien. — « J’ai réconcilié les Bavarois avec le titre d’empereur, disait M. de Bismarck, en leur montrant qu’il serait plus aisé à l’amour-propre de leur souverain de s’accommoder avec un empereur d’Allemagne qu’avec un roi de Prusse. » On lui persuada aussi que l’empressement dans la résignation est encore une façon de se distinguer, que mieux vaut jouer le rôle de courtier complaisant, si modeste qu’il soit, que de n’en point jouer du tout, qu’au surplus, s’il déclinait la mission dont on voulait bien le charger, un autre s’en chargerait à sa place, et que, n’ayant pas eu la peine, il ne serait pas à l’honneur.

Le 6 décembre, il prenait son parti, il écrivait au roi de Saxe : « Très glorieux et très puissant prince, cher frère et cousin, unies depuis des siècles par la langue et les mœurs, les tribus allemandes victorieusement conduites par l’héroïque roi de Prusse célèbrent maintenant une fraternité d’armes qui donne une preuve éclatante de la puissance de l’Allemagne unie. Je m’adresse donc aux princes allemands et surtout à Votre Majesté, et je lui propose d’engager d’un commun accord Sa Majesté le roi de Prusse à joindre à l’exercice de ses droits présidentiels le titre d’empereur d’Allemagne. » Douze jours plus tard, le roi Guillaume disait aux délégués du Reichstag : « C’est avec une émotion profonde que j’ai reçu l’invitation qui m’a été adressée par Sa Majesté le roi de Bavière pour le rétablissement de la dignité impériale. »

On lui a toujours su gré de son bon mouvement, on l’a récompensé de son sacrifice volontaire par de gracieuses attentions, et, jusqu’à la fin, la presse officieuse de Berlin l’a traité avec beaucoup de ménagemens et d’égards. De son côté, il s’appliquait à prouver qu’il ne regrettait rien,