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mécontentemens dans le pays, ils tenaient moins à la présence des princes qu’à la fausse politique suivie jusqu’ici, qu’on allait gratuitement au-devant des plus graves complications. Vainement les républicains sensés ont parlé ainsi, avec éloquence, avec la fermeté d’une raison éclairée : leurs conseils, leurs avertissemens n’ont pas été plus écoutés que les dignes et chaleureuses protestations de M. le duc d’Audiffret-Pasquier. M. le président du conseil, qui s’est donné la triste mission d’être le ministre des passions qu’il ne partage pas, — qui est un homme modéré, qui regrette ce qu’il fait, comme le lui a dit avec une fine et implacable ironie M. Jules Simon, — M. le président du conseil est intervenu une fois de plus devant le sénat pour tout pallier artificieusement, pour démontrer presque qu’il n’y a rien de plus naturel que la proscription des princes. M. le président du conseil a cru habile de placer le sénat dans l’alternative de subir la loi qu’il a subie lui-même, qu’il a reçue de ses amis les radicaux, ou de paraître s’associer à une manifestation contre la république, de s’exposer à être accusé de représenter ce que certains républicains appellent « l’état d’esprit orléaniste. » Il a réussi à enlever le vote, c’est possible ; il a d’abord sauvé son portefeuille, c’est possible encore. Et après ? En quoi la république est-elle plus assurée parce que les républicains ont montré qu’ils étaient toujours prêts à tout sacrifier à leurs préjugés et à leurs haines, parce qu’un vote a fait rentrer la proscription dans les lois françaises ?

Le premier résultat a été de créer ou, si l’on veut, de mettre subitement à nu une situation violente. On a expulsé M. le Comte de Paris comme « chef d’une ancienne maison régnante, » et son « héritier direct par ordre de primogéniture : » ainsi parle la loi ! M. le Comte de Paris, en quittant la France, a répondu par une protestation où, sans forfanterie et sans faiblesse, il accepte la position qu’on lui fait. Et qu’on ne dise pas qu’on tient enfin l’aveu du prétendant, que par sa protestation, par ses déclarations, par l’attitude qu’il a prise. M. le Comte de Paris justifie la loi qu’on a votée. C’est une simple puérilité. Assurément personne n’ignorait ce qu’étaient, ce que représentaient les princes, pas plus que personne n’ignore ce que signifie le nom de Napoléon également proscrit dans ceux qui le portent ; mais ces princes, M. le Comte de Paris en tête, vivaient paisiblement en France depuis quinze ans, respectant les lois, évitant le bruit, se défendant de toute manifestation. Ils n’ont jamais réclamé que les bénéfices et les garanties de la loi commune à laquelle aucun d’eux n’a songé à se dérober. On subtilise souvent sur ce mot de citoyens appliqué à leur personne : sans aucun doute ils étaient des citoyens, puisqu’ils ne briguaient ni honneurs ni privilèges. Ils restaient associés à la nation, ne troublant certes de leurs démarches ni la république ni les ministères. Ce sont les républicains eux-mêmes qui ont donné un titre à M. le Comte de Paris, qui l’ont désigné en le frappant. Ils ont oublié