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de ce siècle ont eu des débuts plus brillans et une existence plus romanesque ou plus bizarre. Lorsqu’en 1864 Louis II montait sur le trône de Bavière comme successeur de son père Maximilien II, il avait à peine dix-neuf ans. Ce jeune héritier des Wittelsbach, d’une des plus vieilles maisons royales de l’Europe, avec sa taille élancée, ses yeux bleus, sa physionomie intelligente, gagnait aisément le cœur d’un peuple qui a gardé toute sa foi dynastique, et à vrai dire, dans un règne de plus de vingt ans, il n’a jamais été impopulaire ; il s’est toujours fait aimer, malgré des excentricités que les Bavarois lui pardonnaient ou qu’ils ne voulaient pas voir. On ne peut pas dire qu’il ait été un personnage politique ; il a eu cependant un rôle dans quelques-unes des circonstances les plus graves de l’histoire contemporaine. Il régnait déjà en 1866, il était avec l’Allemagne du Sud à côté de l’Autriche dans le grand duel qui se dénouait à Sadowa par la victoire prussienne et il se hâtait de faire sa paix avec le vainqueur. À la fin de 1870, lorsque l’issue de la guerre contre la France n’était plus douteuse, il était le premier des princes allemands à proposer la reconstitution de l’empire germanique, à offrir la couronne impériale au roi Guillaume, sans paraître toutefois à Versailles, où s’accomplissait le grand événement. Depuis, en restant fidèle à M. de Bismarck et à sa politique, il n’a pas laissé quelquefois de montrer que le vieil orgueil de race ne pliait pas aisément devant les Hohenzollern. Il avait la jalousie de son autorité royale, même en la courbant devant le chef de l’empire.

Depuis longtemps, en réalité, il avait cessé de s’occuper des affaires publiques, même des affaires de la Bavière ; il s’intéressait peu à la politique. Il s’était créé une vie solitaire, mystérieuse, la vie d’un prince de vieille légende, étranger au monde de son siècle, sans cesse occupé à faire de ses rêves des réalités. Il avait le goût des constructions somptueuses, des palais féeriques, qu’il faisait élever dans les sites les plus pittoresques, en y rassemblant tout ce qu’il pouvait imaginer de plus magnifique ou de plus étrange. Comme son grand-père, le fantasque et excentrique Louis Ier, de galante mémoire, mais avec une humeur plus farouche, plus exaltée, il avait la passion des arts, surtout le fanatisme de la musique, et c’était l’origine de l’intime et compromettante familiarité qu’il avait nouée un moment avec Richard Wagner. Il voulait avoir ses théâtres, ses représentations pour lui seul. Il partageait sa vie entre les distractions musicales, la construction de ses châteaux et les courses nocturnes, à la lueur des torches, dans les montagnes bavaroises. Il se dérobait quelquefois pendant des semaines, fuyant le monde, tout entier à ses fantaisies de plus en plus bizarres, laissant le gouvernement à ses ministres, Bans s’inquiéter des chambres et de leurs votes. C’était un visionnaire qui avait une certaine poésie et le goût des grandeurs dans ses hallucina-