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Ponsonbies formaient des clans parlementaires : ils manœuvraient ensemble ou séparément, suivant le mot d’ordre de leurs chefs défile. On nommait ceux-ci les entrepreneurs (undertakers)[1]. C’étaient des fermiers parlementaires, qui se chargeaient, à forfait, de procurer au gouvernement une majorité en toute circonstance et de la lui conserver per fas et nefas. En retour, ils recevaient, pour eux, des promotions dans la hiérarchie nobiliaire, pour leurs parens et leurs créatures, des pairies, des grades, des bénéfices ecclésiastiques, des charges de justice et de finances, des sinécures et des pensions.

En 1749, l’un des chefs de groupe, Boyle, alors speaker de la chambre des communes, avait fait une découverte aussi importante, dans l’histoire de la corruption politique, que celle de la circulation du sang en physiologie, ou, en astronomie, celle de la gravitation. Elle est très simple, comme toutes les grandes découvertes, et peut se formuler ainsi : un homme politique ne doit pas se vendre au gouvernement, mais seulement se louer. A partir de ce moment, le vice-roi dut acheter périodiquement ceux dont il se croyait le concours assuré et qui étaient les agens directs de l’état.

Au moment où Boyle fait l’application de son principe, on voit naître à Dublin quelque chose qui ressemble à un commencement d’opinion publique. Un apothicaire, appelé Charles Lucas, agite la population protestante par des pamphlets où il signale les empiétemens du pouvoir sur les privilèges des corporations. Par degrés, il en est venu à soulever certaines questions de liberté politique et commerciale ; il demande la réforme du parlement. Le cabinet anglais choisit ce moment pour disputer aux communes irlandaises la libre disposition d’un excédent budgétaire. Boyle entre aussitôt dans son rôle de patriote offensé et de champion des privilèges parlementaires. Le vice-roi, après avoir essayé de lutter, vient à composition. Boyle est créé comte sous le nom de lord Shannon avec une pension de 2,000 livres. Dès lors, tout est bien en Irlande ; on brûle publiquement les écrits de Lucas et le pamphlétaire est contraint de s’exiler.

Dix-huit ans après, nous voyons le fils de ce même lord Shannon se présenter chez le vice-roi, lord Townshend, débarqué de la veille. Il est accompagné de deux autres gentlemen, Ponsonby, le speaker de la chambre des communes et l’avocat Hely Hutchinson. Ces trois messieurs ont dans leur poche une majorité ; ils viennent, le sourire aux lèvres, l’offrir au vice-roi. Les deux premiers ont apporté une liste de promotions et de pensions pour leurs amis. Le troisième ne demande rien, étant très désintéressé. D’ailleurs, il a déjà

  1. L’expression anglaise a un sens lugubre que le mot français ne comporte pas. On appelle aussi undertakers les industriels qui se chargent des enterremens. Dickens a dessiné deux ou trois types inimitables d’undertakers.