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propos du traité de commerce avec l’Angleterre, vous n’êtes plus un parlement. » Un autre s’étonne que le secrétaire du vice-roi qui a déposé ce traité dans la chambre en soit sorti vivant. Un troisième, discutant le bill qui attribue au gouvernement le droit de faire des visites domiciliaires, déclare que, si un agent ose se présenter à sa porte, il ira au-devant de lui avec la grande charte dans une main et un pistolet dans l’autre : « Et je jure devant le Dieu vivant qu’un de nous, lui ou moi, restera sur la place. » Grattan traite ses adversaires de menteurs, et répète trois fois le mot. Sur quoi M. Parsons traverse la chambre, et se précipite sur lui comme pour le déchirer. Des provocations s’échangent qui aboutissent à des rencontres souvent mortelles, à moins qu’une intimité passionnée ne s’établisse entre les deux combattons de la veille. Des souilles divers passent sur cette foule comme les vents d’été sur les épis mûrs. De folles gaîtés, des rages furieuses, des attendrissemens soudains la secouent et la font vibrer ; puis, ce sont de longues heures de langueur et de paresse. Si l’on pouvait supposer un parlement formé des héros de Shakspeare, c’est ainsi qu’il faudrait se le figurer.

Le parlement a son moraliste dans Browne, son homme d’esprit dans sir Hercules Langrishe. Lorsque Browne, rappelant les obligations chrétiennes attachées à la possession de la terre, dit à ses auditeurs : « Avez-vous fait votre devoir ? Etes-vous sûrs d’avoir fait votre devoir ? » le parlement se courbe sous cette parole austère comme une congrégation méthodiste sous celle de Wesley ou de Whitefield. Langrishe a fait ses premières armes en amateur, dans le journalisme anonyme et satirique ; il a cessé d’être libéral, mais il est resté spirituel. Il manie adroitement l’ironie réactionnaire : « Dix personnes qui se plaignent et qui crient, dit-il, font plus de bruit que dix mille personnes qui sont satisfaites et qui se taisent. » Il dit encore : « Vous me parlez de la voix du peuple ? J’entends : vous voulez dire la voix de ceux qui vous font écho. » Et ses ennemis eux-mêmes font fête à ces mots caustiques : car l’épigramme les délecte autant que l’hyperbole. Curran, mélange du poète et du légiste, un Camille Desmoulins sans fiel, apporte dans le parlement, avec son abondance incorrecte, l’humeur joyeuse de la jeunesse. Curran, c’est l’enfant des grandes villes, quand par hasard il est bon.

Les ai-je tous nommés ? Non. Voici le plus redoutable, Fitzgibbon. C’est le petit-fils d’un laboureur ; son père est né dans une hutte de boue. Peut-être ceux qui sont sortis du peuple sont-ils seuls assez robustes pour lui tenir tête et pour supporter le poids de sa haine : or ce fut précisément la destinée de Fitzgibbon. Il n’a point, — eût dit Mardoche, — le crâne fait comme ses compatriotes. Point