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en session. Il vint un jour où elle comptait à peine seize membres : puis elle tomba à douze, puis à sept. Tout progrès pacifique et légal était devenu une illusion. Un matin, — c’était en mai 1797, — quinze ans presque jour pour jour après l’établissement de la constitution, Grattan se leva une dernière fois pour soutenir la réforme dans ce parlement qui ne l’écoutait plus. On avait discuté toute la nuit, et le soleil éclairait depuis longtemps les visages fatigués. « Nous vous avons proposé les mesures que nous jugions nécessaires. Vous les rejetterez. Quant à nous, nous ne voulons pas des vôtres. Nous avons rempli notre devoir. N’espérant plus ni dissuader, ni persuader, nous ne vous troublerons plus dans votre œuvre, et, de ce jour, notre place restera vide dans le parlement. »

Alors, n’ayant pas voulu choisir entre la révolution et la dictature militaire, la petite troupe libérale défila et se retira, comme une poignée de braves évacue le fort en ruines qu’elle a défendu, quand il n’y reste ni une amorce ni une bouchée de pain. C’est ici que finit proprement l’histoire du parlement irlandais. La scène suprême n’est qu’un épilogue : peu de mots suffiront pour la raconter.


VI

Les trois années qui suivent la retraite de Grattan et de ses amis sont de fatales, de sanglantes années. Guidé par Fitzgibbon dans la voie que Pitt lui-même a tracée, le gouvernement a adopté une politique de résistance et de provocation. L’Irlande est couverte d’espions. Les chefs populaires sont en prison ou en exil. Il ne reste qu’à trouver un général dont les violences exaspèrent la nation jusqu’à la folie. Le brave Abercrombie refuse cette mission indigne d’un soldat, mais elle est acceptée et consciencieusement remplie par Lake. Une insurrection éclate, absurde, insensée, sans plan, sans armes, sans chefs. Des hordes de paysans, conduits par des curés de village, viennent presque aux portes de Dublin. Quand on juge les bourgeois protestans suffisamment terrifiés, on écrase sans peine les insurgés. Puis viennent les procès, puis les exécutions, puis un grand silence. C’est alors qu’est présenté le bill d’Union.

Le vétéran de la corruption parlementaire, le chancelier Fitzgibbon, unit ses efforts à ceux d’un jeune homme, lord Castlereagh, dont les talens naissans pour l’intrigue avaient frappé le cabinet anglais : tous deux prodiguèrent sans compter l’argent et les promesses. Je ne donnerai qu’un exemple : le docteur Agar, archevêque de Cashel, pour prix de sa coopération et de son vote dans la chambre des lords, obtint successivement le titre de vicomte, puis celui de comte, et le siège archiépiscopal de Dublin. Pour ceux qui voulaient être