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de Sapalel, Môrousar, une alliance qui dura jusqu’à sa mort. Maître du Naharana, c’est-à-dire du pays des deux fleuves, du pays entre l’Oronte et l’Euphrate, les Khiti fermaient maintenant aux pharaons le chemin de la Mésopotamie ; la domination égyptienne, même sous les princes les plus heureux et les plus vaillans, ne s’étendait plus que jusqu’aux sources de l’Oronte, sur la Phénicie et sur la Palestine. C’est que la puissance des Khiti était alors à son apogée. Lorsqu’ils luttaient contre Toutmès, ils n’avaient pour alliés que des tribus syriennes ; lorsque, dans la quatrième année du règne de Ramsès II, la guerre s’est rallumée entre l’Egypte et les Khiti, ceux-ci se placent à la tête d’une grande confédération où l’on voit figurer, à côté des peuples syriens, des peuples qui appartiennent certainement à l’Asie-Mineure, ceux de Leka, les Lyciens, d’Akérit, les Cariens, de Masa, les Mysiens, de Padasa (Pédasos en Troade), d’Hiouna et de Dardana, où l’on reconnaît les noms fameux d’Ilion et de Dardanos[1]. Il y a là une différence qui a sa signification. Entre le règne de Toutmès et celui de Ramsès, les Khiti avaient dû, de manière ou d’autre, acquérir dans toute l’Asie-Mineure une prédominance marquée. On ne saurait dire d’ailleurs s’il faut voir, dans tous ces auxiliaires asiatiques, des sujets ou même des vassaux de Khitisar, le nouveau roi de Cadech. N’était-ce pas plutôt des alliés volontaires qui accouraient de loin, attirés par l’appât du butin et l’espoir d’aller piller l’Egypte ?

Les confédérés avaient 2,500 chars de guerre ; un d’entre eux, le prince de Khaloupou, aurait à lui seul mis 18,000 hommes en ligne. Les historiographes égyptiens ont peut-être forcé les chiffres ; il n’en reste pas moins vraisemblable que l’armée de la ligue était beaucoup plus nombreuse que celle de Ramsès ; mais celle-ci était plus homogène et mieux exercée. La bataille dura deux jours ; Ramsès avait d’abord été enveloppé ; il faillit être pris ; mais, le second soir, ses adversaires étaient en pleine déroute. Nul doute qu’il n’ait donné l’exemple et chargé dans la mêlée à la tête de sa garde ; on ne saurait cependant prendre à la lettre la merveilleuse prouesse que le poète de cour attribue à son roi quand il le montre « s’élançant dans les rangs des Khiti pervers, seul de sa personne, aucun autre n’étant avec lui, » puis environné par des milliers de chars, protégé par Ammon, qui détourne de lui les traits, et enfin chassant devant lui la foule effarée des vaincus.

Le lendemain, Khitisar demandait la paix ; mais ce ne fut qu’une

  1. Tous ces noms ont été lus et ces identifications proposées par M. de Rougé. M. Maspero, dans la quatrième édition de son Histoire ancienne des peuples de l’Orient, 1886, déclare (p. 221, n° 1) qu’il ne voit aucune raison de rien changer aux lectures de son maître.