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Il y a environ vingt ans, on offrit au Musée britannique une plaque d’argent dont la forme et la dimension étaient à peu près celles de la moitié de la peau d’une toute petite orange[1]. Sur la face concave, au centre, un guerrier debout, armé de la lance, et, des deux côtés de cette figure, des signes où il était difficile de ne pas voir ceux d’une écriture jusqu’alors inconnue. Le tout, image et signes, gravé à la pointe, était encadré par un anneau circulaire ; dans la bande qui séparait cet anneau du bord de la plaque, des caractères cunéiformes. L’étrangeté du monument le rendit suspect : on refusa d’acheter ; mais, atout hasard, M. Ready, l’habile directeur des ateliers de moulage et de réparation, prit une empreinte par la galvanoplastie.

Cette empreinte dormait oubliée dans un tiroir quand, il y a cinq ou six ans, M. Sayce vit ce monument mentionné dans un mémoire du docteur A.-D. Mordtmann ; celui-ci avait cru reconnaître dans les caractères cunéiformes du pourtour les élémens de l’alphabet des inscriptions de Van. Ce qui frappa M. Sayce, ce fut la description du personnage et des signes du compartiment central ; il y devina une figure qui ressemblait aux images sculptées sur les rochers de la Cappadoce et des signes appartenant à l’écriture dite hamathéenne, et sa joie fut grande quand il se fut procuré un dessin de la plaque qui confirmait ses conjectures ; mais où était l’original ? En existait-il des reproductions ? Une lettre, adressée à l’Academy, posait la question ; les réponses ne se firent pas attendre. Bientôt, un des conservateurs du Musée, M. Barclay Head, racontait comment l’objet avait failli y entrer et en envoyait une empreinte ; puis c’était M. François Lenormant, qui en expédiait une autre. Il l’avait prise lui-même à Constantinople, où, vers 1860, il avait vu la plaque dans le riche cabinet de M. Alexandre Iovanof, qui l’avait achetée à Smyrne. Depuis lors, cette collection a été dispersée et l’original a disparu ; mais les deux moulages, exactement pareils, peuvent le remplacer.

On s’est prévalu de cette disparition pour contester l’authenticité de l’objet ; mais le doute n’est vraiment pas justifié. En 1860, un faussaire, quelque ingénieux qu’on le suppose, n’aurait pas en l’idée de créer le type du guerrier qui occupe le centre de la bosse ; l’attention n’avait pas été appelée sur ce genre de figures, sur les détails de costume et de pose qui les caractérisent ; surtout il lui eût été impossible d’imaginer les signes qui entourent ce personnage. On avait déjà fabriqué de fausses inscriptions cunéiformes, mais personne ne soupçonnait l’existence des hiéroglyphes hétéens ; les textes de Hamath n’avaient pas encore été transcrits.

  1. Le diamètre de la plaque est de 0m, 45.