Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’agit-il de la sculpture proprement dite, on arrive aux mêmes conclusions. Cet art de la Syrie et de l’Asie-Mineure, comme l’art assyrien, paraît n’avoir guère connu que le bas-relief ; il ne nous a pas laissé une seule statue. Ce qui nous permet de le juger, ce sont les scènes que son ciseau a tracées sur les rochers de la Ptérie et sur les dalles de basalte qui décorent le soubassement du palais d’Euiuk. On y voit des processions de dieux et de génies, de rois et de guerriers, tous thèmes chers au sculpteur ninivite. Types factices, tantôt nobles, tantôt grimaçans, où les membres de l’homme s’unissent en diverses façons à ceux de la bête, personnages debout sur des animaux ou des sommets de montagnes, combat symbolique du lion avec le taureau ou le bélier, ces motifs et d’autres encore appartiennent à la fois au répertoire des deux arts. Comme l’assyrien, l’artiste hétéen réussit mieux dans la représentation de l’animal que dans celle de l’homme ; certains de ces lions ne sont pas indignes de figurer auprès de ceux qu’a produits en ce genre la sculpture assyrienne ; il suffira de rappeler celui que j’ai découvert, encastré dans une fontaine turque, à Kalaba, petit village voisin d’Ancyre[1].

Malgré ces ressemblances, l’art de la Haute-Syrie et de l’Asie-Mineure a cependant sa physionomie propre. Ce qu’a été l’architecture entre l’Euphrate et l’Oronte, nous l’ignorons encore. On a bien retrouvé, à Djerablus et à Biredjik, de vastes salles et des remparts d’où ont été retirées des sculptures qu’accompagnent des hiéroglyphes hétéens ; mais ces ruines n’ont pas été explorées assez à fond pour qu’on puisse se prononcer sur la date des constructions ; ce qui en reste ne serait-il pas postérieur à Sargon ? Au contraire, il y a en Asie-Mineure des monumens dont l’origine ne prête pas aux mêmes doutes ; ils sont certainement l’œuvre de la civilisation primitive qui employait l’alphabet hétéen ou ses dérivés. Ce qui les caractérise surtout, c’est que les peuples qui les ont créés ne savaient pas encore se détacher et comme s’affranchir du relief terrestre. Presque pas d’édifices construits ; on ne citera guère que les palais de Boghaz-keui et d’Euiuk et quelques citadelles où des murs, en appareil polygonal, couronnent les pentes là où s’interrompt le précipice ; encore ces gros blocs ne sont-ils que le prolongement du roc avec lequel, d’en bas, l’œil est tenté de les confondre. D’un bout à l’autre de la péninsule, les premiers habitans ont taillé en mille manières leurs monts de calcaire, de marbre et de trachyte, comme s’ils eussent en affaire à une molle argile. Pas de voyageur qui ne témoigne de l’impression produite sur lui par ces grands travaux. Ici ces tribus ont taillé leurs tombes dans le

  1. Perrot et Guillaume, Exploration archéologique de la Galatie, t. II, pl. 32.