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réalité, est capitale par le prestige qu’en tiraient les torpilleurs devant les personnes étrangères au métier de la mer. Or, ces personnes sont le nombre ; le nombre fait l’opinion publique, et la voix de l’opinion publique est souvent plus forte que celle de l’ensemble des hommes compétens ; il importe donc que le nombre soit complètement édifié à l’égard des questions techniques que la presse lui soumet.

Il est certain qu’un bâtiment quelconque, surpris la nuit par un torpilleur, pourra être coulé par celui-ci avant de s’être aperçu de sa présence, et c’est un grand danger ; mais un torpilleur, rencontrant un bâtiment la nuit, peut-il s’en approcher d’assez près pour reconnaître sa nationalité et en même temps ne pas en être vu ? Je ne le crois pas. En temps de guerre, on prend de grandes précautions : la nuit, on commande à voix basse, on suspend l’usage du sifflet, on cache les lumières, on tient des canons toujours prêts à faire feu : il faudra que le torpilleur s’approche de très près et reste longtemps pour saisir un indice de nationalité ; il sera obligé de marcher doucement, de stopper. S’il est vu, un boulet peut lui arriver comme la foudre, car sa nationalité sera beaucoup plus facile à pénétrer que celle du bâtiment. Cette question de la nationalité sera toujours, partout et en tout état de cause, très simplifiée à l’égard du torpilleur, parce que, en temps de guerre maritime, les puissances neutres n’auront aucune occasion de faire naviguer leurs bateaux-torpilleurs, lesquels sont incapables de rendre aucun service de paix, tel que celui d’assurer la protection du commerce national. Ce n’est pas eux qui peuvent faire la police de leurs navires du commerce, secourir les uns, les relever de la côte, ravitailler au besoin les autres, prendre à bord les marins indociles ou accusés de crimes ou délits, compléter les équipages décimés par les maladies, etc. Les neutres, pendant la guerre, garderont donc chez eux leurs torpilleurs, tandis que leurs navires du commerce et leurs bâtimens de guerre continueront de se montrer partout. Le mouvement commercial des neutres gagnant tout ce que perdra celui des belligérans, leur pavillon marchand sillonnera plus que jamais les mers ; il en sera de même de leur pavillon de guerre, qui, à son service habituel de protection du commerce national, ajoutera le surcroît de sollicitude que pourra lui donner à cet égard la conflagration allumée sur les mers par la lutte de deux puissances maritimes.

De cette situation il résulte que les bâtimens rencontrés peuvent appartenir à toutes les nations, et que, si un indice quelconque vous révèle qu’ils ne sont pas français, votre incertitude n’en sera pas moindre, rien ne vous indiquant qu’ils soient anglais plutôt qu’allemands, danois ou russes. Au contraire, le torpilleur