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nouvelle de l’anéantissement de la flotte française, et nous verrons tous ceux qui peuvent redouter notre concurrence ou notre action, nous verrons tous les états limitrophes des mers, ces vastes capitales, ces grands centres commerciaux qui peuplent au loin les rivages des cinq parties du monde, nous les verrons illuminer et tirer le canon d’allégresse pendant que la renommée, l’influence et le commerce de la France tomberont les uns dans le néant et les autres dans l’oubli.

Me feriez-vous la concession d’entretenir, outre la flottille de guerre, le nombre de croiseurs nécessaire pour assurer, en temps de paix, le maintien de l’influence de la France et la protection de son commerce dans les pays lointains, que cela ne modifierait en rien la déchéance que l’application de vos principes impose au ministère de la marine ; qu’est-ce que peuvent faire, à cet égard, quelques croiseurs de plus ou de moins ? Du moment que vous renoncez à combattre avec des flottes, du moment que vous renoncez à entretenir de grands bâtimens en vue du combat, que vous bornez vos opérations à la défense de nos côtes et à des courses de flottille, en un mot, que vous n’avez plus d’armée navale, mais seulement des guérillas, il n’y a plus de raison d’être pour le département de la marine ; votre établissement naval se réduit à de si faibles proportions, dans son personnel, dans son matériel et dans son objet, qu’il descend tout naturellement de l’importance d’un département ministériel à celle d’un bureau du ministère général de la guerre. Sans armée navale, la marine n’est plus un département, mais un simple service.

Cependant, malgré toutes vos théories, vous n’en arriverez pas là ; la logique des faits emportera tous vos systèmes. Les temps de Xerxès sont passés ; une flottille ne deviendra pas de nos jours la seule expression de la puissance navale.

Que, depuis l’introduction de la vapeur, on ait reconnu que les flottes, les grands bâtimens ne pouvaient plus seuls satisfaire aux besoins d’aujourd’hui, ce n’est pas un fait nouveau : moi-même, il y a cinq ans, dans un écrit intitulé la Rade de Toulon et sa défense, j’émettais cette idée. Mon avis était de créer deux flottilles, la grande et la petite : celle-ci ne s’éloignant pas de terre, l’autre pouvant naviguer. J’aurais voulu cette dernière composée de bâtimens d’un très faible tirant d’eau, lançant des torpilles et portant deux canons, afin de pouvoir combattre par ses canons les torpilleurs et par ses torpilles les bâtimens à grand tirant d’eau. Mais l’avènement des grandes flottilles, pour employer l’expression consacrée, n’avait nullement, dans ma pensée, pour conséquence l’abandon de notre flotte : elles se complétaient l’une par l’autre, voilà tout. Vous, au contraire, vous ne voulez que la flottille ; vous condamnez la flotte. Ce ne sera pas pour longtemps. Tout belligérant