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de Mme de Thianges, sœur de Mme de Montespan, et osa même adresser ses vœux à cette favorite. Plus tard, il s’amouracha de la Dupare, comédienne fort en réputation, et l’aurait épousée sans l’opposition de sa famille. Il prit place parmi les adorateurs et les poursuivans de la célèbre Hortense Mancini, qu’il fit évader de chez son mari, ce qui mit le comble à son renom d’homme à bonnes fortunes, mais commença sa disgrâce à la cour, et il dut se démettre de sa charge de grand-veneur. Sa vie désordonnée le jeta dans les dettes et les coupables expédiens. Il avait, une fois, escroqué à sa mère une partie des bijoux qu’elle possédait, et ses embarras d’argent n’avaient fait que s’accroître, chaque année. Lorsque Latréaumont l’engagea à entrer dans le complot, le chevalier de Rohan était dans une situation pécuniaire pire que jamais. Il venait d’avoir un procès avec une dame de Bretagne ; il en avait encore un autre pendant au parlement. Il ne pouvait tirer d’argent de sa mère, avec laquelle il était brouillé. Il était tombé aux mains des usuriers et en était arrivé à contracter des emprunts désavantageux sur des biens qui devaient lui revenir de la succession de Guéméné.

Une fois que Latréaumont eut gagné à ses vues le chevalier de Rohan, il ne le quitta plus de l’œil, de peur qu’avec son inconstance coutumière ce prince ne tentât de se dégager de l’affaire. Il alla loger chez lui, à Saint-Mandé, où il eut sa chambre. Et quoique d’un rang fort inférieur à celui du chevalier de Rohan, comme il avait plus d’intelligence et de portée d’esprit que lui, il le gouverna un peu à sa guise. C’est ce que note La Fare, dans les Mémoires que nous avons déjà plus d’une fois cités : « Latréaumont espéra, se servant du chevalier de Rohan comme d’un fantôme, faire une grande fortune, en introduisant les Hollandais en Normandie. » Le témoin Bourguignet, qui déposa dans le procès, et dont nous avons parlé plus haut, rapporte que Latréaumont était toujours chez le chevalier de Rohan, « qu’il craignait que quelqu’un n’approchât de lui et ne s’emparât de son esprit, autre que lui, regardant de mauvais œil ceux qui y étaient trop familiers. »

Van den Enden ayant souscrit à la proposition qui lui était faite de mettre à la tête du complot le chevalier de Rohan, une entrevue fut ménagée par Latréaumont entre le prince et le médecin flamand. Le chevalier de Rohan invita plusieurs fois à dîner Van den Enden, et d’étroites relations ne tardèrent pas à se nouer entre eux deux. Mais, ce fut seulement après la déclaration de guerre de la France aux Provinces-Unies que le chevalier de Rohan, poussé par Latréaumont, entra tout à fait dans les desseins des deux conspirateurs ; il alla trouver alors Van den Enden à Picpus, au lieu de le mander chez lui, et c’est à dater de cette époque que