Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rohan préféra députer au comte de Monterey Van den Enden lui-même, qui s’apprêtait précisément à partir pour le Brabant, où l’appelaient ses affaires particulières. Le médecin flamand était en instance pour obtenir son passe-port. L’avantage d’un pareil choix était que de cette façon rien ne viendrait éveiller les soupçons de la police française. Latréaumont et Rohan donnèrent leurs instructions à Van den Enden. Celui-ci devait présenter au comte de Monterey, pour attester la mission dont il était chargé, le numéro de la Gazette de Bruxelles contenant les deux phrases sacramentelles, et lui exposer, de vive voix, le plan adopté pour la conspiration, et demander, de plus, au gouvernement espagnol ce qu’il comptait faire pour aider à l’exécution de l’entreprise. Il s’agissait de hâter les choses. Le chevalier de Rohan était impatient. Dans la dernière conférence qu’il eut avec Van den Enden, il lui dit « qu’il fallait que M. de Monterey pressât l’exécution, qu’il n’y avait pas de plaisir de demeurer longtemps dans le crime, que, si cela se remettait à l’autre été, l’affaire s’évanouirait. » Le chevalier de Rohan était animé par un sentiment de vengeance contre Louis XIV qu’il lui tardait de satisfaire. Se trouvant en carrosse avec Van den Enden pour aller de Paris à Saint-Mandé, où ils avaient laissé Latréaumont, il tint contre le roi des discours injurieux, et en se frottant les mains avec agitation, il dit : Si nous le tenions ! sans s’expliquer davantage ; une autre fois, faisant le même geste, il s’écriait : Nous l’aurons !

Le médecin flamand ne déclina pas la mission si délicate qu’on lui confiait. Il était tout prêt à partir, mais il avait besoin d’argent pour son voyage et la somme de 1,000 livres, que lui avait promise le chevalier de Rohan, n’arrivait pas. Nous avons noté plus haut dans quel embarras pécuniaire se trouvait, depuis longtemps, ledit chevalier. Obéré comme il l’était, il s’adressa au traitant Berryer, qui, ayant sans doute une très médiocre confiance dans la solvabilité de ce cadet de grande maison, ne se montra pas disposé à lui faire des avances. Et comme Van den Enden insistait pour qu’on le munit de son indispensable viatique, le chevalier de Rohan témoigna à haute voix son mécontentement contre les prêteurs qui reconduisaient, et auxquels il reprochait avec colère de ne pas tenir les promesses que, disait-il, ils lui avaient faites. Enfin, Berryer finit par s’exécuter, et le chevalier obtint de lui une somme de 20,000 livres, sur laquelle 1,000 furent comptées, en pistoles d’Espagne, à Van den Enden dans la maison rue Jean-Saint-Denis, qui servait de pied-à-terre à Paris au chevalier. Celui-ci le pressa alors de partir, mais Van den Enden, pour lequel son voyage avait un double but, n’entendait pas sacrifier toutes ses affaires personnelles, dont le règlement exigeait qu’il différât encore de quelques