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Voici, au témoignage du médecin flamand, comment Latréaumont et le chevalier de Rohan faisaient proposer d’agir au comte de Monterey : six mille hommes seraient embarqués sur la flotte que l’Espagne enverrait vers l’embouchure de la Seine, parmi lesquels il importait qu’il y eût beaucoup d’Espagnols, ainsi que des armes et des munitions en quantité suffisante et des outils pour fortifier Quillebeuf ; cette place devait être, comme il a été noté plus haut, livrée à l’Espagne et rester en son pouvoir jusqu’à ce qu’on lui eût cédé Le Havre, Dieppe ou Abbeville. Des pensions devaient être accordées par sa majesté très catholique aux principaux auteurs du complot, à savoir : 30,000 écus par an pour le chevalier de Rohan ; 20,000 écus aussi par an pour Latréaumont. Le roi d’Espagne s’engagerait, en outre, à ne point faire la paix sans y comprendre ces deux gentilshommes.

Le comte de Monterey paraît avoir souscrit à tous ces arrangemens dont il attendait de grands avantages pour son pays. Il s’entretint, toujours en présence de M. Dimottet et du marquis d’Este, avec le médecin flamand, de la situation politique de l’Europe, qui lui paraissait propice pour tenter un coup d’audace. Il promit de donner ordre au gouverneur d’Ostende de bien recevoir les gentilshommes qui lui arriveraient de Normandie et ceux qui passeraient par l’Angleterre pour se rendre en Flandre ; il annonça qu’il attendait d’Allemagne des corps auxiliaires, dont il évaluait le chiffre à quarante mille hommes, et nomma les princes qui les devaient fournir. Il comptait tenir l’armée française en échec, du côté des Pays-Bas, et faire avancer ses troupes jusqu’à Corbie, en vue de se saisir de cette place pour la faire raser, après quoi il appuierait l’entreprise de Normandie. Mais la difficulté, répétait-il à Van den Enden, tenait à ce qu’on ne pouvait pas envoyer par mer autant d’hommes qu’on en demandait, à cause de la séparation de la flotte.

Malgré tout son bon vouloir, le gouverneur espagnol laissa percer qu’il n’avait pas une entière confiance dans les deux personnages qui s’adressaient à lui. Il se plaignait qu’on ne lui donnât pas d’assurances sur la réalité de l’entreprise. A quoi Van den Enden répliqua que la sûreté se rencontrerait tout entière par les quatre gentilshommes qui passeraient comme otages sur la flotte, à l’arrivée. Il affirma que beaucoup de gens étaient engagés dans l’affaire et que rien n’était plus aisé que de faire soulever Rouen pour les grandes habitudes que le sieur de Latréaumont y avait. Sur ces assurances des dispositions de la Normandie, le comte de Monterey fit observer qu’il importait d’attendre la convocation du ban et de l’arrière-ban, annoncée dans la province, parce que la noblesse se trouverait alors sous les armes et en mesure de s’insurger.

Pour bien préciser les points sur lesquels il s’agissait de