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d’une pente, d’où l’on dominait les quartiers les plus populeux et les plus riches de la ville. C’est sur ces terrasses que s’élevaient non pas des maisons, mais d’adorables kiosques, qui allaient nous servir de résidence. Le plus beau de tous, naturellement préparé pour l’ambassadeur, ne comprenait qu’une seule pièce, où l’on pénétrait par une large porte ouverte toute la journée afin de laisser entrer la bienfaisante lumière du soleil. Cette pièce était aussi décorée que peut l’être une pièce arabe ; ses murs étaient revêtus de charmantes mosaïques, les plus fines arabesques couraient sur son plafond, et sur sa porte s’épanouissaient les complications infinies des dessins orientaux. Elle contenait deux magnifiques lits en fer doré à baldaquins, comme nous allions en voir dans toutes les maisons opulentes de Fès. Produits de l’industrie anglaise, ils n’avaient rien de remarquable que leur taille presque démesurée, et qui semblait l’être surtout aux yeux de voyageurs habitués aux lits de camp. Entre ces deux lits s’étalait un divan, et, pour compléter l’ameublement, des glaces et des coucous de toutes les époques et tous les pays étaient rangés çà et là. Les tapis, hélas ! venaient en droite ligne du Bon Marché ou des Grands Magasins du Louvre. Il y a peu de temps encore, on recevait les ambassadeurs dans des pièces ornées de magnifiques tapis arabes ; mais de misérables drogmans, qui se faisaient passer pour des ambassadeurs, ayant eu la malhonnêteté de démeubler leur résidence en la quittant, les Marocains ont pris la précaution de loger les Européens dans des meubles qui prêtent moins à la tentation. Pourtant, la chambre de l’ambassadeur contenait un objet bien propre à rendre criminel un amateur de tentures et de décorations arabes. Derrière le divan, était appliquée sur le mur une étoffe de velours rouge couverte des plus éblouissantes broderies d’or. On appelle ces étoiles des haïti ce qui signifie la chose du mur, de haït, mur. Il y a partout des haïti ; d’ordinaire, ce sont de simples pièces de soie vertes ou rouges où sont cousues des bandes également de soie, mais de couleur différente : ces bandes ont la forme de portes en ogive, représentant le Mihrab, qui, comme on sait, indique dans les mosquées la direction de La Mecque. Les haïti en velours brodé d’or sont fort rares. Je n’en ai vu que deux fois : dans la chambre réservée à M. Féraud et chez un Algérien, vice-consul français, qui en avait loué afin d’orner sa maison pour nous recevoir. Celles du vice-consul de France étaient les plus parfaites ; la broderie d’or, d’un dessin discret, d’une finesse d’exécution ravissante, était un modèle de goût. Celles de la chambre de M. Féraud, plus lourdes, visant plus à l’effet, étaient cependant admirables. Qu’on se figure, sur un fond d’un rouge intense, trois portes de mihrab avec une bordure de légères arabesques et, au centre, un immense bouquet