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du second, de sorte que la comédie, au dire d’un témoin, vient ici « donner des marques de son obéissance un pied chaussé et l’autre nu. » Pour Mélicerte, il n’en a pu faire que deux actes, où l’action est nouée à peine, et « Sa Majesté en ayant été satisfaite, » selon la déclaration des éditeurs, « il ne l’achève pas. » Elle ne sera jamais jouée à la ville, cette Mélicerte, non plus que la Pastorale comique qui la remplace bientôt dans la troisième entrée du Ballet des Muses. Les Amans magnifiques, où Louis XIV parait peut-être sous les costumes de Neptune et d’Apollon, ne seront pas joués à la ville du vivant de Molière ; et après 1711, on n’en trouvera plus trace sur aucune scène. La Princesse d’Élide (disparue du théâtre depuis 1757) ne réussit jamais à la ville aussi bien qu’à la cour ; le Mariage forcé, de même, eut son plus beau succès le premier. — C’est que de toutes ces pièces, même des meilleures, même de celles qui se passeraient le moins malaisément de secours étrangers, Molière eût dit volontiers ce qu’il disait de l’Amour médecin, dans son Avis au lecteur : « Il serait à souhaiter que ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornemens qui les accompagnent chez le roi. »

Cependant, à ses momens perdus, ce fournisseur de Sa Majesté composait pour lui-même et pour le vulgaire quelques autres pièces, comme l’École des femmes, Don Juan, le Misanthrope, Tartufe (dont les trois premiers actes, il est vrai, furent d’abord essayés à Versailles quelques jours après le divertissement de l’île enchantée), enfin les Femmes savantes. Il arriva que, par le mérite de ces œuvres-ci, justement, il devint immortel. D’autre part, même dans ce genre-là, — c’est le ballet que je veux dire, — genre allégorique, mythologique, pseudo-pastoral et carnavalesque, il avait mis le plus de vérité possible : il y avait introduit, autant que les conjonctures le permettaient, des personnages réels, humains, citadins, vêtus comme le spectateur. Il advint que plusieurs de ces personnages continuèrent de parler et d’agir après qu’autour d’eux les chants et les danses avaient cessé. C’étaient, par exemple, M. de Pourceaugnac et ses médecins ; George Dandin, sa femme et ses beaux-parens ; le Bourgeois gentilhomme, Mme Jourdain et Dorante. Les comédies jouées par ces gens-là n’étaient, à l’origine, que des broderies appliquées sur l’étoffe d’un ballet, soit ! L’étoffe tombée en poussière, ces morceaux subsistaient. C’étaient, si vous le préférez, des cadres, où des figures de danse avaient été enfermées : ces figures évanouies, les cadres demeuraient précieux ; il valait la peine de les exposer tout seuls. J’entends bien que, plus ces cadres seront nombreux, mieux les plaisirs du public seront assurés et la gloire de Molière entretenue. Peut-on ranger dans cette catégorie les Fâcheux et Psyché ? Voilà toute la question.

Les personnages des Fâcheux, jetés dans les intervalles d’un ballet