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à Saint-Cloud, et dès le lendemain, il y avait une de ces grandes réceptions de cour où figurait le corps diplomatique.

Tout ce monde aux uniformes éclatans était réuni à midi dans le salon du palais. Napoléon, selon son usage, faisait sa tournée d’un air assez préoccupé, et s’arrêtant brusquement devant l’ambassadeur d’Autriche : « Eh bien ! monsieur l’ambassadeur, disait-il à voix haute, que veut l’empereur?.. L’Autriche arme beaucoup... » Puis sur quelques paroles de l’ambassadeur expliquant les actes de son gouvernement, l’empereur reprenait : «Vous en voulez donc à quelqu’un ou vous craignez quelqu’un? A-t-on jamais vu agir avec une précipitation pareille? Si vous y aviez mis un an, dix-huit mois, il n’y aurait rien à dire ; mais ordonner que tout soit prêt le 16 juillet comme si ce jour-là vous deviez être attaqués! Vous avez donné par là une impulsion à l’esprit public qu’il vous sera très difficile d’arrêter... Je ne veux pas la guerre, je ne veux rien de vous; l’empereur François, le comte de Stadion, le comte de Metternich ne la veulent pas, tous les hommes sensés ne la veulent pas. Eh bien ! moi qui connais la marche des choses humaines, je vous dis que je crois que nous l’aurons malgré la volonté des gens de bien. Une main invisible est en jeu, cette main est celle de l’Angleterre... Vous me forcez à armer la confédération, vous m’empêchez de retirer mes troupes de la Prusse et de les faire rentrer en France... Vous me forcez à m’adresser au sénat et à lui demander deux conscriptions. Vous vous ruinez, vous me ruinez... Cet état peut-il durer? Qu’espérez-vous donc?.. » Et pendant près d’une heure devant le corps diplomatique attentif, se déroulait cette conversation, soutenue par M. de Metternich avec autant d’aisance que de dignité, avec autant de sang-froid que de mesure.

La scène était extraordinaire ; elle était évidemment calculée pour donner à penser à l’Autriche et à l’Europe. Elle était restée néanmoins jusqu’au bout dans les termes d’une politesse étudiée, et, dès le soir, à un dîner officiel, l’honnête ministre des relations extérieures, M. de Champagny, se hâtait de prévenir M. de Metternich que, dans la scène du matin, il n’y avait rien de personnel pour lui, que l’empereur avait voulu tout simplement éclairer la situation. Napoléon lui-même saisissait la première occasion pour faire venir l’ambassadeur et reprenait avec lui son ton familier. « Nous ne sommes pas ici comme l’autre jour, lui disait-il, en présence de tout un auditoire. Je regarde tout comme fini;., mais j’ai craint que vous ne fussiez, par de fausses démarches, entraînés à la guerre sans le vouloir. Il ne faut pas se mettre dans une position où une étincelle décide de tout... » L’explication du 15 août n’avait donc rien que de pacifique, c’était entendu. Elle ne restait pas moins étrangement significative ; elle retentissait en Europe et elle causait