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mouvemens violens de la colère, qui l’excitent d’abord et ensuite l’apaisent. Ces deux effets contraires des mêmes mouvemens expressifs prouvent bien que les mouvemens ont de l’influence sur l’émotion, mais qu’ils n’en sont pas les élémens mêmes. Rappelons-nous la loi générale qui lie les états de conscience aux mouvemens : tout état de conscience tend à produire du mouvement en raison directe de son intensité ; et, d’autre part, le mouvement engendré tend à diminuer l’état de conscience. C’est que l’intensité d’un état de conscience amène une tension nerveuse analogue à celle de l’électricité dans la bouteille de Leyde ; le mouvement consécutif est une détente nerveuse, et si la décharge se produit un certain nombre de fois, il en résulte l’épuisement progressif du système nerveux. C’est une sorte d’usure comme celle du nerf optique ébloui par la lumière. L’expression corporelle des émotions produit donc d’abord une diffusion de courans dans tout l’organisme, conséquemment une dérivation générale qui, en diminuant l’intensité spéciale de l’effet sur le cerveau, peut sauver le cerveau même d’un trouble soudain. Puis, en se déchargeant ainsi dans tous les sens, l’émotion finit par se dépenser et le système nerveux s’use : il en résulte un effet de fatigue, qui a pour résultat final l’apaisement. Tous ces effets montrent la connexion étroite des passions et des organes : ce n’est pas sans raison que Descartes, Malebranche, Spinoza étudiaient les passions dans leurs effets corporels.

Mais, après avoir ainsi accordé toute l’influence possible à l’automatisme organique, faut-il accepter la complète réduction des sentimens à leurs seuls symptômes corporels ? — Selon nous, cette conséquence est le résultat d’une série de déductions dont chacune dépasse ses propres prémisses. La première preuve que M. James invoque, c’est qu’il existe des émotions qui ne sont évidemment rien que des sensations complexes. Représentez-vous, par l’imagination, deux lames de couteau affilées qui se frottent l’une l’autre à angles droits, cette seule représentation produira un agacement de tout votre système nerveux ; or ici, tout le fonds de l’émotion consiste dans les effets corporels que les lames produisent immédiatement. « Ce cas est typique, dit M. James : où une émotion idéale semble précéder les symptômes corporels, il n’y a souvent rien qu’une représentation des symptômes eux-mêmes. » Aussi, dans certains cas de terreur morbide, on peut n’avoir d’autre crainte que celle de la crainte même : on se figure d’avance les symptômes et on les craint. « Ces cas, conclut M. James, montrent que l’émotion commence et finit avec ce que nous nommons ses manifestations ; elle n’a point de status mental, excepté la sensation actuelle de ses manifestations, ou cette sensation affaiblie qui est